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UN POÈTE PETIT-RUSSIEN.

toujours fraîche. Les contemporains de Chevtchenko pouvaient encore puiser à pleines mains dans les souvenirs des vieillards.

Chez tous les peuples européens, l’âge héroïque est bien loin ; celui de la Grande-Russie remonte aux derniers temps du paganisme, — de son paganisme à elle bien entendu. Dans l’Ukraine au contraire, les événemens très modernes que nous venons de rappeler ont eu sur les imaginations un contre-coup si violent, qu’ils ont fait disparaître tout souvenir des siècles antérieurs. Pendant que la Russie offre une vaste moisson de poèmes, connue sous le nom de cycle de Saint-Vladimir, c’est à peine si l’on a pu retrouver quelques pauvres lambeaux de poèmes petits-russiens du cycle correspondant, et pour confirmer l’existence de cet ancien cycle petit-russien, un érudit, lors du dernier congrès archéologique de Kief, a été amené à rechercher dans les particularités du texte d’un poème russe, l’influence ou l’imitation de quelque poème petit-russien aujourd’hui perdu ! Ainsi donc, des deux cycles héroïques qui se sont succédé en Ukraine, le plus jeune et le plus fort a complètement détruit l’autre, Le struggle for life de Darwin trouve ici une application inattendue. Un rapide coup d’œil sur l’histoire de l’Ukraine rendra peut-être ces considérations plus claires.

Les Cosaques doivent leur nom et indirectement leur existence aux Turcs. Le mot-russe kozik et kazak vient du turc kazak, qui signifie libre guerrier, soldat armé à la légère, nous dirions aujourd’hui franc-tireur. On les vit apparaître pour la première fois quand les Turcs essayèrent d’envahir la Russie méridionale et s’installèrent en Crimée. Une sorte de croisade s’éleva aussitôt « pour la défense de la sainte croix contre les infidèles. » Tous les héros de cette longue croisade furent-ils des saints et des défenseurs absolument désintéressés du christianisme ? Évidemment non : la plupart furent attirés là par leur tempérament aventureux, quelques-uns seulement par leur foi religieuse, Ces grands mouvemens populaires sont comme des fleuves débordés et fangeux qui rouleraient des parcelles d’or. Si tous les chrétiens qui prirent place aux croisades du moyen âge avaient laissé par écrit leur confession, générale, nous y lirions sans doute des choses fort peu édifiantes. Le mieux est donc d’accorder l’absolution, en masse « parce qu’il s’est trouvé des justes parmi eux. » En somme, quels que soient leurs péchés, véniels ou autres (on peut en voir un aperçu dans l’admirable petit roman de Gogol, Tarass Boulba), les Cosaques ont rendu un véritable service à la civilisation en arrêtant les progrès des Turcs du côté de l’Orient.

Ils formaient une association bien connue sous le nom de sitch. Pour y entrer, il suffisait de jurer fidélité à la sainte croix. C’était, on le voit, un ordre religieux où les vœux étaient réduits à leur