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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 15.djvu/944

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REVUE DES DEUX MONDES.

dente à ces histoires de jeunes paysannes séduites par des gens d’une classe étrangère à la leur. Il rachète l’apparente monotonie du sujet par une fécondité d’imagination presque inépuisable.

Catherine, par exemple, est une jeune fille qui a aimé un moskal, — un Moscovite, c’est le nom que les Petits-Russiens donnent aux soldats russes. Ses parens la chassent, elle part pour Moscou, à pied, son enfant dans les bras, pour retrouver son séducteur, qui avait promis de revenir. « Quand elle fut un peu loin du village, le cœur brisé, — elle regarda en arrière, — puis secoua la tête et se mit à pleurer. — Elle reste immobile comme un peuplier, dans la plaine, près du chemin battu. — Jusqu’au coucher du soleil, ses larmes, — semblables à la rosée, coulèrent… Elle serrait son fils dans ses bras, — le baisait en pleurant, — et lui, comme un petit ange — innocent, de ses petites mains — cherchait le sein de sa mère. — Le soleil descendit. Derrière la chênaie — le ciel devint rouge : — elle essuya ses yeux, se retourna, — et partit, la mort dans l’âme. » La pauvre enfant arrive à Moscou, retrouve son bel officier, qui refuse de la reconnaître, et elle va se noyer dans l’étang voisin.

Dans la Servante, même début, mais dénoûment tout autre : Hanna est une paysanne séduite ; elle dépose son fils devant la porte de deux vieux époux sans enfans, vrais Philémon et Baucis de la steppe. « Ce n’est pas moi qui te baptiserai, mon enfant ; tu seras baptisé par des étrangers, et je ne saurai pas comment tu t’appelles. » Les vieillards trouvent l’enfant, le baptisent Marc, et l’adoptent ; mais voilà qu’au bout d’une année une jeune fille nommée Hanna demande qu’ils la prennent comme servante. Ils l’acceptent. Hanna est une bonne travailleuse, elle fait tout dans la maison, et en même temps elle trouve le moyen de ne pas quitter l’enfant une seule minute. « Les deux vieillards s’extasient — et remercient Dieu. — Mais tous les soirs, au lieu de dormir, — la pauvre fille — maudit sa destinée — et pleure amèrement ; et personne ne le voit, — personne ne le sait, — excepté le petit Marc. — Il ne comprend pas — pourquoi elle l’arrose de larmes — et le couvre de baisers, — oubliant de boire et de manger. — Il ne sait pas que, dans son berceau — pendant la nuit, — quand il remue et se retourne, — elle s’élance vers lui, — borde sa couverture, — fait sur lui un signe de croix — et le berce doucement. De l’autre cabane, elle entend — l’enfant respirer. » Marc devient un homme. Il se fait marchand, tchoumak, il se marie, et il ignore toujours le nom de sa mère. Enfin Hanna, gravement malade, sent qu’elle mourra bientôt. Marc est en voyage : arrivera-t-il à temps pour qu’elle puisse le voir ?… On entend le bruit d’un convoi de chariots