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sulter, à remettre leurs résolutions d’accord avec les circonstances. Nous en sommes là, et, si à cette obscurité ou cette hésitation d’un moment on ajoute ce tourbillon de nouvelles confuses, contradictoires, intéressées, souvent inventées, répandues soir et matin à la surface de l’Europe, on comprendra que ces affaires d’Orient soient depuis quelques jours un assez étrange casse-tête chinois. Au fond, aujourd’hui comme hier, toute la question est d’un côté dans les conséquences politiques de la révolution accomplie à Constantinople, et d’un autre côté dans le travail de rapprochement devenu nécessaire pour que l’Europe puisse reprendre d’un commun accord une action qui n’est point abandonnée, qui n’est que suspendue. Il s’agit, en un mot, de savoir si les derniers incidens qui ont modifié les conditions de la crise orientale aideront à la pacification désirée, ou s’ils ne sont que le prélude de complications nouvelles, plus menaçantes pour la paix du monde. Jusqu’à preuve authentique du contraire, nous persistons à croire que la paix sortira victorieuse de l’épreuve, qu’elle triomphera des difficultés de la situation de l’Orient aussi bien que des froissemens d’amours-propres ou des antagonismes de conduite qui ont créé l’incohérence diplomatique de l’Occident.

Cette révolution de Constantinople, elle est certes venue à propos au moment où la note délibérée à Berlin allait être remise à la Porte et créer peut-être une situation sans issue. Elle s’est accomplie d’abord très pacifiquement par la déposition d’Abdul-Azis et par l’avènement du fils d’Abdul-Medjid, du nouveau sultan élevé au trône des Osmanlis sous le nom de Mourad V. Le cheik-ul-islam a déclaré que le dernier empereur avait fait tout ce qu’il fallait pour être déposé, les ministres eux-mêmes se sont chargés de l’exécution de l’arrêt, et la foule a battu des mains en saluant de ses acclamations le nouveau chef des croyans. Tout avait été évidemment préparé et tout s’est réalisé selon le programme. La révolution a même été si pacifique qu’elle commençait à déranger ceux qui en sont restés aux légendes du sérail, à la tradition des empereurs condamnés à perdre la vie avec la couronne. La tragédie cependant n’était pas loin, elle n’a pas tardé à éclater comme pour montrer que la Turquie n’a point cessé d’être la Turquie. Seulement cette fois le sultan découronné n’a pas été étranglé par des muets ; c’est lui-même qui s’est chargé de l’opération traditionnelle en s’ouvrant les veines des bras avec des ciseaux qui lui servaient à tailler sa barbe. On avait bien pris toutes les précautions, on lui avait enlevé ses armes, mais on avait oublié le petit instrument ! Dix-neuf médecins ont attesté qu’ils avaient vu les ciseaux ensanglantés, les blessures, le cadavre impérial, et « que tout cela constituait nécessairement un suicide. Qui peut dire le contraire ? Il n’est point certainement impossible qu’Abdul-Azis, tel qu’il était, avec ses hallucinations d’absolutisme oriental, n’ait été pris d’un