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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/115

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Confessons cependant un regret : ces récits ne sont pas écrits pour nous et par conséquent nous paraissent manquer un peu de couleur locale. Ce mot d’Italie nous enivre ; dès que nous l’entendons prononcer, nous voyons des marines éclatantes, des paysages historiques, de grandes plaines semées de tombes et des bois de citronniers en fleurs. Rien de tout cela ne frappe les Italiens, aussi n’est-ce pas eux qui ont décrit leur pays avec le plus de charme. Ils y sont faits et n’admirent pas autant que nous leur beau ciel, car il n’y a pas d’admiration sans étonnement. Même regret pour les figures ; elles ne se distinguent pas assez, pour nous du moins, de ce que nous rencontrons chez nous. On s’imagine volontiers qu’en Italie l’armée doit se composer de belles têtes bronzées par le soleil, de corps souples et fins comme ceux qui tirent les filets sur la plage de la Chiaia pour réjouir les yeux des peintres. On voit en rêve ces pêcheurs revêtus d’uniformes bariolés, et l’on voudrait que pour eux le maniement du fusil ne fût que l’occasion de déployer de pittoresques attitudes. Or il n’en va pas ainsi sous le régime constitutionnel : la liberté ne veut pas de soldats qui posent dans les ateliers ; elle est avare de panaches et de pompons, et impose à tous les conscrits la capote grise ; il n’est guère que certains corps d’élite qui aient quelque souci de l’élégance et de l’agrément. On aime aussi les bersagliers, qui trottent si crânement en faisant ondoyer leur plume de coq, au bruit allègre de leurs trompettes ; mais le gros de l’armée n’est point fait à souhait pour le plaisir des yeux. Quant à la vie militaire, elle ressemble singulièrement à la nôtre. M. de Amicis nous peint des camps qu’il aurait pu placer à Satory. Il a vu, dans le pays des orangers et des pins, des cantines improvisées qui n’offraient guère de différence avec celles du nord : deux ou trois planches servaient de tables, une porte d’armoire, posée sur les plus hauts tonneaux, faisait l’office de comptoir, la femme du cantinier trônait sur le tonneau le plus large. D’une petite corde graisseuse, tendue entre deux rayons de roue, pendaient certaines choses noires, longues, qui auraient bien voulu se donner pour des saucissons et faire croire qu’on les pourrait mâcher et avaler sans péril de mort. Le cantinier avait mis en vue, pour allécher les soldats, une paire de paniers contenant les meilleurs herbages, un grand plat de poulets maigres et déplumés, tfn gros morceau de mauvaise viande crue, une rangée de fiasques, de bouteilles et de verres, des cigares imbibés d’huile et des feuilles de papier à lettres parfumé, Dieu sait de quoi. — En avant ! garçons, ici l’on festoie ! — La foule s’entasse autour des tables, encombre tous les bancs ; on mange, on boit, on porte des toasts, on choque les verres, on joue à la morra, les têtes s’échauffent ; tout le monde cause, pérore, vocifère et chante, hélas ! à la fois. Passe un officier, profond silence ! L’officier a passé,