Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/13

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

inédits qu’a publié récemment M. Siméon Luce[1], le nouvel éditeur de Froissart, et qui a pour sujet la vie de Bertrand du Guesclin. J’emprunterai au livre du savant paléographe les principaux traits du tableau que je veux essayer de tracer d’une époque si pleine d’enseignemens, en les éclairant à l’aide des résultats d’autres travaux historiques.


I

La fin du XIIIe siècle et la première moitié du XIVe furent pour la France un temps relativement heureux, que marqua un progrès matériel et économique considérable. La partie laborieuse de la nation rencontrait plus de sécurité et une protection plus efficace. L’extension de la justice royale, en donnant plus de force et d’unité à la répression, en exerçant une plus grande vigilance contre les violences et les usurpations, dotait le commerce, les transactions et les transports des garanties qui leur manquaient auparavant. La noblesse féodale, abaissée par Philippe le Bel, tenue en bride par Philippe le Long, n’était plus aussi libre d’ensanglanter le pays par ses luttes incessantes et ses guerres privées. Des années de paix, et d’un régime plus régulier permirent aux gens des campagnes et des villes de se livrer d’une manière plus suivie à leurs travaux et à leurs affaires. Aussi la population s’accrut-elle notablement, au moins dans certaines provinces. Les curieuses recherches de M. Ch. de Beaurepaire et de M. A. de Boislisle ont établi que la Normandie et l’Ile-de-France étaient alors au moins aussi peuplées qu’elles le sont aujourd’hui, car plus d’un village et d’un hameau mentionnés à cette époque ont disparu, et, si la population était moins agglomérée dans les grands centres, elle était plus fournie ailleurs. L’abolition du servage rendait en partie la liberté aux laboureurs, à l’homme des champs, et l’affranchissement des communes avait émancipé l’industrie et le commerce. Les cités manufacturières du nord de la France venaient de prendre un rapide essor par les relations actives qu’elles entretenaient avec. l’Allemagne, surtout avec la Flandre et l’Angleterre, siège d’une industrie florissante. Plusieurs de nos villes telles qu’Arras, Beauvais, Provins, Reims, Carcassonne, Limoux, exportaient au loin leurs draps ou leurs toiles. Il se faisait un commerce important en différentes villes du midi, à Narbonne, à Nîmes, à Montpellier, etc. Des changeurs et des traitans lombards et toscans inondaient notre territoire et y provoquaient un grand mouvement d’argent. Plusieurs de nos foires, celles de Champagne et de Beaucaire en particulier,

  1. Histoire de Bertrand du Guesclin et de son époque, par M. Siméon Luce, Paris 1876.