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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/17

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sept chambellans du duc de Normandie. Il est vrai que les Anglais, plus riches que nous, donnaient l’exemple, et l’on trouve rapportée dans le curieux Livre du chevalier de la Tour-Landry, publié par M. Anatole de Montaiglon, une piquante anecdote qui prouve que les dames de ce temps-là attachaient autant d’importance que celles de nos jours à être mises à la dernière mode. La femme d’un baron de Guienne critiquait un jour la toilette de la dame de Beaumanoir. « Beau cousin, disait-elle au sire de Beaumanoir, je viens de Bretagne, où j’ai vu belle cousine, votre femme, qui n’est pas mise et n’a pas sa robe garnie comme les dames de Guienne et de plusieurs autres lieux, car la bordure de ses corsets n’est pas assez large ni de la mode qui a cours à présent. — Madame, repartit Beaumanoir, puisque ma femme n’est pas habillée à votre guise et comme vous, que la bordure de ses corsets vous semble trop étroite et que vous m’en blâmez, sachez que vous ne m’en blâmerez plus. J’ai imaginé un costume aussi nouveau et plus élégant, plus riche qu’aucun de ceux que vous portez, vous et les dames qui se mettent à votre mode, car vous et elles n’avez, après tout, que la moitié de vos corsets et de vos chaperons recouverts de paremens de vair et d’hermine, tandis que moi je ferai encore mieux ; je ferai porter à ma femme ses corsets et ses chaperons à l’envers, la doublure de fourrure en dehors ; ils seront, de cette façon, plus bordés et mieux garnis que les vôtres. Ce n’est pas, croyez-le bien, que je ne veuille voir ma femme aussi bien mise que les bonnes dames de son pays ; mais je ne veux pas qu’elle renonce au costume des honnêtes femmes, des dames de bon renom qui sont en France et chez nous, pour adopter les modes des maîtresses, des filles suivantes des Anglais et des gens des compagnies, car ce furent celles-ci qui, les premières, introduisirent en Bretagne cette mode des grandes bordures, des corsets fendus sur les côtés et des paremens flottans. »

Le menu peuple suivait au moins de loin cette recherche extravagante des fourrures condamnée par le sire de Beaumanoir ou plutôt par le chevalier de La Tour-Landry, qui prête ces sentimens au seigneur breton. Comme les pelleteries apportées des régions du nord étaient d’un prix très élevé, les petites gens se contentaient de peaux d’écureuil, de renard et de lapin. Jusqu’aux minces bourgeois et aux paysans avaient adopté dès cette époque un autre genre de luxe devenu pour tous, depuis, une nécessité première ; c’était l’emploi du linge de corps. On commençait en effet à porter des chemises faites de lin, car le chanvre n’était alors communément employé que pour les cordages et les grosses toiles. C’est seulement au XVIe siècle, ainsi que l’observe, dans son Histoire des classes ouvrières en France, M. Emile Levasseur, qu’on se mit à traîner quelques étoffes fines avec du chanvre. Dérivée