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d’un vêtement de dessous appelé chains ou chainse, et déjà usité aux XIe et XIIe siècles, vêtement dont le tissu était de fil, voire de laine fine, de crêpe de soie, la chemise arriva promptement à être partout adoptée. Les érudits s’étaient imaginé, en voyant sur des miniatures du XIVe siècle des personnages représentés couchés tout nus dans leur lit, que la chemise était alors chose inconnue. Leur méprise provenait de ce qu’ils ignoraient qu’on était en ce temps-là dans l’habitude d’ôter sa chemise pour se mettre au lit. Les draps servaient, comme de nos jours, à la confection des linceuls, et l’on ensevelissait ainsi même les plus pauvres. Dès la fin du XIVe siècle, n’avoir point de draps, c’eût été, comme de nos jours, être tout à fait dans l’indigence. Le Ménagier de Paris, composé à la fin du XIVe siècle, ne tient un bourgeois pour heureux que s’il a linge à sa suffisance, s’il n’est couchié en blans draps et cueuvre-chief blan et n’est bien couvert de bonnes fourrures. On a constaté chez le peuple à cette époque des soins de toilette et de propreté qu’on n’aurait guère soupçonnés. L’usage des bains était fort répandu dans toutes les villes de quelque importance. Les étuves où on les administrait étaient, à l’instar des thermes des Romains, des lieux de réunion, de délassement et de plaisir ; on s’y rendait comme à la taverne. Ces établissemens se rencontraient jusque dans de simples hameaux ; de plus, chaque habitation un peu aisée était pourvue de sa cuve à baigner. On ne prenait pas d’ailleurs seulement des bains de propreté, la médecine les ordonnait comme remèdes dans nombre de maladies, surtout aux femmes et aux petits enfans, et l’on devait d’autant plus y recourir que les hommes de l’art étaient répandus dans nos villes et ne faisaient pas même défaut aux campagnes. Chaque châtellenie avait à cette époque un médecin ou un chirurgien juré ; le doctorat en médecine, comme la maîtrise en chirurgie, ne s’obtenait qu’après des épreuves ou des examens.

Telle était la condition des populations au commencement du XIVe siècle. Il ne faut assurément pas s’exagérer un bien-être qui, comparé au nôtre, pourrait paraître souvent de l’indigence ; mais il n’atteste pas moins qu’il s’était opéré en ce temps-là un progrès notable de l’aisance et que la barbarie tendait à disparaître. Maîtres et sujets s’étaient dégrossis. L’instruction devenait plus commune. C’est au XIVe siècle que le titre de clerc se trouve porté par une foule de gens qui n’appartenaient pas au clergé proprement dit. Ce n’étaient plus comme auparavant les prêtres et les moines qui étaient seuls lettrés. Assez rares à l’âge précédent, frappés de condamnations et de mesures répressives par les papes de la fin du XIIIe siècle, les clercs mariés se multiplièrent au XIVe, à la faveur du relâchement de la discipline, ecclésiastique ; on en rencontre à tous les degrés de l’échelle sociale ; ce sont non-seulement des