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tabellions, des avocats, des commerçans qui s’honorent d’avoir reçu la cléricature, mais encore des laboureurs, des teinturiers et des artisans. Plus instruits, mieux éduqués, les fils des serfs du siècle précédent, les héritiers des pauvres tenanciers d’autrefois durent s’accommoder moins de la sujétion où ils se trouvaient. D’autre part, tant que les mœurs gardaient de leur simplicité, de leur grossièreté primitive, moins de distance séparait les différentes classes de la population. Seigneurs, clercs, moines et artisans se rencontraient à l’église comme dans les confréries, prenaient part aux mêmes jeux et fréquentaient la même taverne. Les curés ne croyaient pas déroger en allant boire avec leurs paroissiens, les chevaliers, les écuyers, en prenant part à des repas où venaient s’asseoir des laboureurs, des charpentiers, et où chacun payait son écot. Mais, quand les progrès du bien-être et du luxe eurent accru les besoins, les classes les moins aisées ne purent manquer d’éprouver de l’envie à l’égard des nobles et des seigneurs ; les vilains, les petits bourgeois aspirèrent à une condition meilleure dont ils n’avaient pas eu auparavant l’idée, et l’hostilité dut s’établir entre les gentilshommes et les gens des communes et des campagnes. Aussi là où les nobles, au lieu de rester dans leurs manoirs et de régner sur leurs paysans, qu’ils avaient molestés sans doute souvent, mais qu’ils avaient aussi protégés, allaient à la cour du roi, à celle de quelque grand feudataire, briguer des emplois de haute domesticité, mener une vie plus raffinée, passer leurs journées dans la dissipation et les plaisirs, perdaient-ils l’influence qu’ils avaient exercée et leurs sujets devenaient leurs ennemis. Les choses se passaient de la sorte dans maints cantons dès la fin du XIIIe siècle, et au siècle suivant les seigneurs ne firent qu’abandonner davantage leurs domaines. La noblesse était dépouillée d’une partie de sa puissance politique, décadence que la royauté mettait à profit pour augmenter sa propre autorité. Les croisades avaient ruiné bien des seigneurs, et bon nombre s’étaient vus forcés de vendre leur fief même à des roturiers. Puis les héritages s’étaient divisés, une foule de puînés, de cadets, de bâtards se trouvaient sans ressources et étaient contraints d’aller chercher fortune loin du domaine de leurs pères.

C’était précisément le temps où l’armée subissait un commencement de transformation, où les anciennes levées féodales dans lesquelles le noble servait, à titre de possesseur de fief et suivi de ses vassaux, de ses tenanciers, étaient remplacées de plus en plus par des gens enrôlés. Des chevaliers, même des roturiers, allaient se mettre individuellement ou par petites troupes au service de quelque potentat en guerre avec un voisin. Aux bandes des anciens routiers, connus sous le nom de cotereaux ou de brabançons, et qu’on employait au temps des armées féodales, mais dans une