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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/210

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Ce qu’on fait du marbre aujourd’hui à Turin comme à Milan, à Milan comme à Florence, est inouï. On le découpe, on le festonne, on le chantourne, on le tréfile, on le plisse, on le frise, on le gaufre, on le brode, on le chiffonne comme du linge, on le pétrit comme de la pâte, on le feuillette comme une tarte à la frangipane, et il se laisse faire ; les artistes italiens obtiennent de lui des obéissances que jamais personne ne s’était avisé de lui demander. Il est bon de montrer ces merveilles à nos sculpteurs pour leur apprendre tout ce qu’on peut oser avec le marbre, qui quelquefois leur fait peur ; il est bon surtout de les signaler à l’étude attentive de nos confiseurs, — ils y trouveront des sujets et de charmans motifs de plats montés. Les sculpteurs d’outre-mont ont une habileté de main vraiment étourdissante, qu’il faut louer et qu’on peut leur envier ; ce qui manque trop souvent à leur génie, c’est un sentiment, une idée quelconque, l’art de créer une figure qui une fois par hasard dise quelque chose. Il y a cependant des exceptions à faire ; nous avons vu une Ariane qui venait de Milan et dont la tête ne manque point d’expression. Elle est appuyée contre un magnifique rocher en nougat de Montélimart, qu’elle a fortement entamé.. Elle s’appuie sur ce qu’il en reste, et son visage exprime les syndérèses d’un estomac qui a trop présumé de ses forces et qui expie cruellement la témérité de son exploit. On n’a jamais mieux rendu le remords et la mélancolie d’une indigestion. Cette statue est très morale, elle prêche éloquemment la tempérance.

Un grand critique disait : « On peint tout ce qu’on veut ; la sévère, grave et chaste sculpture choisit ; elle est sérieuse même quand elle badine. » La sculpture enjouée ou badine, ou simplement familière, est un genre très légitime que ne condamne aucune loi divine ou humaine. Elle était représentée au Salon par quelques œuvres intéressantes et distinguées. La jeune Moulière de M. Perrey n’a point déplu, le Jeu de grâce de M. Raymond Barthélémy a trouvé de nombreux amateurs ; la Marchande d’amours de M. Gaudez, qui porte son aimable marchandise dans une hotte, a provoqué plus d’un sourire sympathique. Il y a du sérieux sculptural dans le Jeune homme à l’émérillon de M. Thabard ; bien planté, bien pris dans sa taille, il est tout occupé de son oiseau, et s’il n’émeut pas vivement l’imagination, il satisfait à toutes les exigences du plus difficile des arts, dont le thème favori sera toujours une âme bien portante dans un corps bien venu. On a justement loué le Bain de M. Lemaire, scène de la vie intime, où nous voyons une jeune femme s’apprêtant à plonger dans une cuvette un nouveau-né qui goûte médiocrement cette opération. Plus remarquable encore est la jolie statue de M. Hoursolle ; elle représente un jeune