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certains points essentiels, et ce que le chef du foreign office a dit suffit néanmoins pour mettre sur la voie de la vérité. Ce qui en résulte de plus clair, c’est que la Serbie peut certainement engager la guerre à ses risques et périls si cela lui convient, qu’entre Turcs et Serbes, Herzégoviniens, Monténégrins ou Bulgares, c’est une affaire simplement intérieure, au moins pour le moment. Lord Derby l’a dit : « Nous serions heureux de réconcilier, si nous le pouvions, la Porte et les provinces insurgées ; mais à mon avis nous n’avons aucun droit de prendre parti pour les uns ou pour les autres dans une querelle purement intérieure… » En d’autres termes, le système que le cabinet anglais paraît se flatter d’avoir fait triompher, auquel la Russie elle-même se serait ralliée avec les principales puissances du continent, c’est une neutralité de l’Europe assistant en spectatrice plus ou moins désintéressée, ne fût-ce que pendant quelques mois, à la mêlée sanglante des populations de l’empire ottoman.

La neutralité, soit, c’est une politique qui a ses avantages, nous n’en disconvenons pas, qui est aussi correcte que prévoyante en présence d’événemens qu’on croit ne pas pouvoir empêcher. Il est certain que les actes diplomatiques qui règlent les relations des puissances européennes avec l’empire ottoman, que le traité du 30 mars 1856, et ce traité du 15 avril entre l’Angleterre, la France et l’Autriche, que lord Derby a rappelé, n’impliquent nullement un droit d’intervention dans les affaires purement intérieures de la Turquie ; mais enfin c’est une réserve un peu tardive après des interventions si souvent répétées, tantôt à propos de la Moldo-Valachie ou de la Serbie elle-même, tantôt à propos de la Syrie ou de la Crète, — et de plus il s’agirait de savoir si on n’aurait pas pu, si on ne pourrait pas encore empêcher ces événemens, qui semblent près d’éclater, si par une abstention du moment on ne se prépare pas des difficultés redoutables. Que la guerre s’engage décidément entre la Serbie, appuyée par le Monténégro, ralliant à son drapeau toutes les insurrections bosniaques ou bulgares, et l’armée turque, il faudra bien qu’il y ait un vainqueur et un vaincu. Si c’est l’armée ottomane qui est victorieuse, pense-t-on que la Russie, peut-être favorable aujourd’hui à un système qui laisse à la Serbie la liberté de tenter la fortune, consente à voir la Turquie exercer les droits de la victoire, qu’elle abandonne les vaincus ? Elle le voudrait qu’elle ne le pourrait pas ; elle sacrifierait tout plutôt que de laisser les Slaves sans protection, et elle ne ferait qu’obéir à l’opinion russe, à cette opinion qui, selon le mot du chef du foreign office lui-même, est une force avec laquelle il faut compter dans les pays qui n’ont pas de parlement, comme dans les pays constitutionnels. Si c’est la Serbie qui est victorieuse, l’Angleterre, l’Autriche, ont-elles d’avance pris leur parti des transformations qui peuvent en être la conséquence, des démembremens inévitables de l’empire