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noblesse en maintenait pour elle l’emploi. Précisément parce que c’était une des formes de la preuve en justice, un des moyens consacrés pour établir le bon droit, le duel devait être soumis à des formalités déterminées, à des règles constantes. La chevalerie introduisit dans la guerre des usages qui en étaient tirés et qui tendaient à faire des batailles, des joutes solennelles, de grandes parades militaires. Toute lutte dans un tournoi devait être précédée d’un défi, comme dans le combat judiciaire le demandeur jetait son gage de bataille que le défendeur devait relever ; on agit d’une manière analogue quand deux armées étaient en présence, et un cartel devait précéder l’engagement, de même qu’une déclaration de guerre en forme précède de nos jours le commencement des hostilités. Ce cartel ne s’envoyait pas seulement au moment d’en venir aux mains, mais on l’adressait à son ennemi pour l’informer qu’on se proposait de l’attaquer. Ces habitudes disparurent graduellement pendant la guerre de cent ans. Les Anglais, qui au milieu du XIVe siècle y recoururent encore quelquefois quand ils avaient intérêt à les maintenir, s’en affranchirent et se moquèrent en diverses occasions mémorables de la naïveté avec laquelle nos chevaliers prenaient soin de les observer.

Quand en 1346 Edouard III débarqua à Saint-Waast de la Hougue pour ouvrir la campagne qui devait aboutir à la victoire de Crécy, il marcha sur Poissy, où il arriva le lu août, après avoir ravagé la Normandie. Philippe de Valois avait fait couper tous les ponts de la Seine ; le monarque anglais ne pouvait passer sur la rive gauche qu’après avoir reconstruit le pont de Poissy, ce qui exigeait plusieurs jours de travail. Les Français étaient là en force sur l’autre rive, menaçant les Anglais, déjà fort à court de vivres. Une puissante armée ayant à sa tête le roi de France se tenait à Saint-Denis. La position d’Edouard devenait critique ; il était exposé à être acculé à la Seine et jeté dans le fleuve ; mais Philippe de Valois n’était pas homme à déroger aux règles de la chevalerie pour profiter de la situation. Loin de tomber à l’improviste sur son adversaire par un des côtés où l’armée anglaise était le plus vulnérable, il avait envoyé un cartel à Edouard le jour même où celui-ci était arrivé à Poissy pour lui proposer la bataille, soit entre Saint-Germain-des-Prés et Vaugirard, soit entre Frangeville et Pontoise, lui laissant le choix, quant au jour, entre le jeudi, le samedi, le dimanche ou le mardi suivant. Le rusé Edouard répondit par une feinte à l’envoyé du roi de France, l’archevêque de Besançon ; il dit au prélat qu’il comptait prendre le chemin de Montfort-l’Amaury et qu’on l’y pourrait venir chercher. Cette réponse donnée, Edouard simula une attaque à l’ouest et au sud de Paris que Philippe de Valois, abusé, courut empêcher en se portant en toute hâte au pont d’Antony.