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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/253

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évidemment condition préventive de capacité, car comment revenir sur un mauvais choix en cas d’erreur, et comment même choisirait-on dans l’absence de tout signe caractéristique de capacité[1] ? Nous n’avons pas à nous occuper du cas hypothétique où la magistrature serait élective et amovible, car je ne pense pas que nos conservateurs penchent vers cette solution, et même alors, surtout alors, des conditions préventives de capacité seraient utiles et nécessaires. Pour le parquet ou la magistrature debout, qui n’est pas inamovible, on sent cependant combien le système d’un emploi à l’essai serait périlleux et inconvenant. Sans doute il y a toujours une part d’inconnu dans l’expérience que l’on fait d’un nouveau fonctionnaire, mais cette part doit être limitée autant que possible, en s’assurant à l’avance d’une certaine capacité générale qui sera le minimum d’aptitude que l’on puisse atteindre et exiger.

Quant aux autres carrières publiques, il y a deux raisons pour lesquelles des conditions préventives sont nécessaires. La première, c’est que l’état, étant la plus haute des administrations, a le droit d’exiger de ses employés non-seulement une aptitude spéciale et technique, qui suffira au courant habituel des choses, mais une culture élevée, qui, développant toutes les facultés de l’esprit, tend à former des hommes plus distingués. Sans doute cette culture n’est pas tout, et il faut encore l’aptitude spéciale, technique, professionnelle, que donne la pratique ; mais l’instruction sera une garantie sans laquelle l’aptitude technique tend à devenir purement machinale et routinière. C’est ainsi, par exemple, qu’on exigera le diplôme de licencié en droit pour l’entrée au conseil d’état et à la cour des comptes, et c’est pour le même motif qu’on exige le diplôme de bachelier de la plupart des fonctions publiques.

Une seconde raison, c’est que les fonctions publiques assurent d’ordinaire une grande sécurité. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? Nous ne l’examinerons pas ; mais en fait tous les fonctionnaires sont arrivés à considérer une place comme une sorte de propriété. L’état s’est presque dépossédé du droit qui appartient à toute administration de renvoyer les fonctionnaires insuffisants. Il les révoque en cas d’indignité, et encore avec toutes les précautions possibles : il les déplace et leur impose des disgrâces, très rares encore, en les faisant déchoir dans l’échelle hiérarchique, il ne les destitue pas,

  1. A la vérité, il y a pour la magistrature une sorte d’épreuve préliminaire, car on n’entre guère immédiatement dans ce qu’on appelle la magistrature assise, laquelle seule est inamovible, sans passer par le parquet ; mais ce n’est là qu’un usage, ce n’est pas une règle absolue. Et d’ailleurs il est bien rare qu’une fois entré dans la place on en soit écarté. C’est quelquefois même pour avoir montré son insuffisance au parquet qu’on obtient, comme on dit, le droit de s’asseoir, c’est-à-dire l’inamovibilité.