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au point même que l’immobilité des fonctionnaires dans toutes nos révolutions est devenue un thème de plaisanteries. Il peut y avoir à cela quelques inconvéniens, mais la stabilité des fonctions maintient la force des traditions, et le spectacle d’un état changeant continuellement de commis n’offrirait pas une grande dignité. Quoi qu’il en (soit d’ailleurs, telles sont nos mœurs actuelles, et tant qu’elles n’auront pas changé, des conditions préventives sont nécessaires. Ceux qui accusent noire administration publique d’être un mandarinisme peuvent ne pas tenir beaucoup aux grades et aux diplômes ; mais ceux qui n’ont nullement l’intention ni le désir de rien changer à ce mandarinisme sont tenus de garder ces conditions et garanties préventives qui en sont le contre-poids.

Ainsi rien de plus nécessaire, rien de plus légitime que les conditions fixées par l’état à l’entrée des carrières de l’état. Étant responsable de l’administration publique, il ne peut l’être que s’il désigne lui-même les garanties d’aptitude des fonctions publiques, et nul autre que lui ne peut avoir ce droit. En est-il de même des autres carrières qui ne relèvent pas immédiatement de l’état ?

Les offices ministériels ne sont pas précisément des fonctions publiques et ne sont pas non plus des professions tout à fait privées : ce sont des industries d’intérêt public protégées et par conséquent plus ou moins garanties par l’état, non que l’état soit le moins du monde responsable de l’honnêteté de ces sortes d’agens ; mais ils gèrent des intérêts sociaux de si grande conséquence, et l’incapacité peut y être une telle source de ruines, sans qu’il soit possible de s’assurer d’avance par aucun moyen de cette incapacité, qu’on a cru nécessaire d’imposer certaines conditions de science juridique. On dit que l’état ne doit pas se faire le tuteur des individus, que c’est à ceux-ci, à leurs risques et périls, à choisir leurs agens, que c’est l’expérience qui apprendra à distinguer les bons des mauvais, etc. Encore une fois, il n’est nullement probable que ces argumens à l’américaine soient du goût de nos conservateurs, et il nous semble que, là où une certaine capacité scientifique est nécessaire, où la présence et l’absence d’une telle capacité ne peut être découverte par aucun moyen extérieur et est livrée par conséquent au hasard, il n’est que juste d’exiger une preuve publique et palpable de cette capacité, car, après tout, quel droit peut avoir un individu d’exercer une fonction dont il est incapable, et qu’il ne peut apprendre qu’aux dépens des autres ?

Si l’on pouvait accepter la liberté, ce serait pour une autre carrière voisine de celles-ci et n’ayant aucun caractère de fonction publique et officielle : c’est le barreau. Le barreau est essentiellement une fonction réservée à la liberté individuelle. C’est l’état qui