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personnes qui faisaient alors l’opinion, disait que son talent était de premier ordre : « Il approchait de la vraie grandeur par ses vues larges, son dédain pour les trivialités, sa résolution, sa décision, sa confiance, surtout son mépris pour les clameurs et les injures. (Mémoires de Gréville, tome III, page 360.) Le moment approchait où Palmerston allait montrer ce dont il était capable, et malheureusement la France devait servir de première victime à celui dont M. de Talleyrand, malgré son aversion, disait dans sa correspondance intime qu’il était et le seul homme d’état de l’Angleterre. » (Lettre à Mme de Flahault.)

Après le traité qui avait en quelque sorte livré la Turquie à la Russie, lord Palmerston avait semblé se rapprocher de la France. Il était pourtant plus tourmenté de la France que de la Russie. Sa mauvaise humeur contre notre pays, qui était chez lui à l’état de diathèse, s’était fortement aiguisée, parce qu’il n’avait pu entraîner le roi Louis-Philippe dans une intervention armée en faveur de la reine d’Espagne. Il avait absolument refusé à ses collègues de mettre un seul mot pour la France dans le discours de la couronne prononcé après l’avènement au pouvoir de M. Mole. La quadruple alliance contractée par l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre et la France n’avait pas donné les fruits que lord Palmerston en attendait : le rêve de Palmerston avait toujours été de voir flotter le pavillon de Saint-George à côté d’autres drapeaux victorieux sur le continent : Louis-Philippe ne lui donna pas la « guerre de Crimée » qu’il devait obtenir plus tard d’un Napoléon. Il en conçut un amer ressentiment. « La France, écrit-il à lord Granville, se met dans une fausse position, et dans peu de temps elle verra son erreur » (20 septembre 1836). Pour lui, il se retire de la quadruple alliance, se lave les mains de ce qui arrivera. Qui avait raison de Louis-Philippe ou de lord Palmerston ? La cause des christinos triompha sans intervention étrangère et tout rentra dans l’ordre en Espagne. Louis-Philippe était avare du sang français et servit mieux l’Espagne par ses conseils qu’il n’eût pu le faire par ses armes.

On voit Palmerston dès ce moment chercher son occasion : il la trouva en Orient. « Il y a peu d’hommes publics en Angleterre, écrivait-il à lord Granville le 5 juin 1858, qui suivent d’assez près les affaires étrangères pour prévoir les conséquences d’événemens qui ne sont pas arrivés. » Les hommes sont rares en tous pays, qui voient approcher l’ombre des faits à venir. Palmerston détermina le cabinet anglais à épouser la cause du sultan contre Mehemet-Ali. Pour empêcher la Russie d’accorder encore à la Turquie sa lourde protection, il est décidé à offrir au sultan l’appui d’une flotte anglaise. Il voudrait lier la France à une action commune avec l’Angleterre, car « il ne faut pas oublier que le grand danger pour