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avide, impitoyable, dédaigneux des hommes, des nations, des théories, des principes. Ceux qui travaillèrent après 1830 à l’établissement d’une monarchie constitutionnelle en France comptèrent trop, on peut l’avouer aujourd’hui, sur les complaisances de l’Angleterre ; ils firent aussi trop de fond sur ces sympathies banales qui s’évaporent dans les salons. « Guizot a été trompé par le sot langage de Holland et de Clarendon, qui lui parlaient en faveur de Méhémet-Ali. » (Lettre à son frère, 27 juillet 1840.) Palmerston, au moment critique, offrit sa démission à lord Melbourne ; tout céda, l’intérêt national fut invoqué, et Palmerston fit ce qu’il voulut. « Les peuples n’ont pas de cousins, » aimait-il à répéter. Il se persuadait que, s’il avait cédé à la France, Louis-Philippe devenait le dictateur de l’Europe et que notre insolence n’aurait plus connu de bornes. Jamais on ne trouve dans sa correspondance un mot qui marque de l’amitié ou du moins du goût pour notre nation ; il a toujours une flèche prête pour nous : « Le gouvernement français nous a demandé la permission de rapporter les cendres de Napoléon de Sainte-Hélène ; nous avons accordé cette permission. Voilà une requête bien française. » ( Lettre à son frère William, là mai 1840.) L’antipathie dont il honorait Louis-Philippe était instinctive ; il reconnaissait dans le roi un Français jusqu’à la moelle. Il n’avait dans son caractère rien de la fadeur de ces whigs, de ces grands seigneurs qui patronnent volontiers et tour à tour les souverains et les peuples ; il était le bouledogue de l’Angleterre et ne voulait pas être autre chose.


IV

L’Europe avait été plus équitable que lord Palmerston : ses souverains avaient fini par reconnaître les grandes qualités du roi Louis-Philippe et par rendre justice à son amour sincère de la paix. Le nuage de 1840 s’était promptement dissipé : on fut surpris de voir tomber le cabinet anglais au lendemain même de son triomphe diplomatique. Palmerston alla reprendre sa place sur les bancs de l’opposition. Les questions économiques commençaient alors à prendre l’ascendant dans la chambre des communes. La réforme parlementaire y avait fait pénétrer les représentans des classes industrielles qui aspiraient au libre échange ; les gentilshommes étaient attachés aux tarifs protecteurs. Palmerston trouvait l’économie politique chose assez ennuyeuse et s’occupait de préférence des questions de politique extérieure ; il accusait la mollesse du cabinet tory et dénonçait volontiers sa faiblesse envers les États-Unis et la France. Quand on relit aujourd’hui les débats que souleva l’affaire Pritchard, on les trouve tout à fait misérables : pendant que les déclamateurs français accusaient M. Guizot de lâcheté, lord