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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/34

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achever de la culbuter. Les lances de l’infanterie anglaise étaient en effet de véritables baïonnettes ; elles n’avaient pas la longueur démesurée des lances de nos chevaliers, que le roi Jean dut faire raccourcir le matin de la bataille de Poitiers, et retailler à la longueur de cinq pieds ; c’étaient des espèces de dague à la pointe acérée, quelque chose comme les vouges dont on se servait aussi dans notre armée. Mais il ne suffisait pas de donner aux troupes de pied un armement plus approprié et plus efficace ; il était nécessaire, pour assurer à l’infanterie anglaise tous ses avantages, de rompre avec les habitudes de cette guerre théâtrale où les chevaliers songeaient surtout à se donner en spectacle, à faire des prouesses. Edouard interdit en conséquence dans son royaume les joutes et les tournois. Il encouragea en revanche le divertissement de l’arc. Il promit la remise de leurs dettes pour tous les ouvriers qui fabriqueraient des arcs ou des flèches, afin de faire de l’arme qu’il avait répandue une arme véritablement nationale et dont le moindre de ses sujets connût le maniement.

Edouard guettait une occasion d’envahir une seconde fois la France, mais l’expérience qu’il venait d’acquérir l’avait convaincu que, pour y réussir, il lui fallait user d’une stratégie habile, bien se renseigner sur le terrain qu’il devait parcourir, afin d’éviter d’être enveloppé et de prendre au contraire à l’improviste l’armée fort nombreuse qui pouvait lui être opposée. Il exerça en conséquence bon nombre de ses hommes à servir d’éclaireurs ou, comme l’on disait au moyen âge, de coureurs ; dès les premières années de son règne, il avait institué un corps de cavalerie légère, les hobbiliers, spécialement chargés des reconnaissances. Il encouragea les Anglais à l’espionnage sur le territoire français, et pour cela il leur fallait connaître notre langue. Son ordonnance de 1337 enjoint à tous seigneurs, barons, chevaliers et honnêtes gens des bonnes villes, de faire apprendre la langue française à leurs enfans, afin, dit l’ordonnance, que ceux-ci soient plus en état de se renseigner et moins dépaysés à la guerre. Un peuple à la fois aussi impétueux et aussi confiant que les Français devait facilement se laisser surprendre, surtout avec une organisation telle que celle que présentaient leurs gendarmes.

Aux chevaliers bardés de fer il fallait un certain temps pour revêtir leurs armures, qu’ils faisaient traîner à leur suite dans des chariots, et pour quitter leurs destriers et monter sur leurs chevaux de combat. À ces intelligentes mesures joignez, dans l’armée anglaise, une discipline mieux observée, plus sévère que celle de nos troupes, où chaque chevalier combattait un peu à sa guise. Les habitudes de discipline étaient telles chez nos voisins d’outre-Manche, qu’ils semblent les avoir portées jusque dans le pillage et la dévastation, et, comme on l’a vu depuis chez d’autres peuples, ils volaient et