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se ressemblent trop entre elles et ressemblent trop à l’homme. Il en résulte que l’animal qu’il décrit est un être abstrait qui n’est bien souvent ni homme ni bête.

C’était la mode au dernier siècle de dépeindre avec complaisance les premiers commencemens des êtres, comme si l’on eût pu lire le journal écrit par eux de leurs impressions naissantes. On sait quelles pages brillantes cette donnée a fournies à Buffon. Condillac, qui se moque de lui, est tombé dans le même piége. Il sait au juste quels sont les débuts de l’animal dans la vie ; il les raconte en un chapitre de quatre pages, pas davantage, et il termine en disant que les observations qu’il vient de présenter « sont applicables à tous les animaux. » Ce noviciat de la bête, quelle qu’elle soit, le voici. Au premier instant, les objets font impression sur l’animal. Il éprouve des sentimens agréables ou désagréables, et il se meut, mais sans règle. Intéressé par le plaisir et par la peine, il compare les états successifs où il se trouve ; il les observe, il découvre son corps et ses organes. Son âme apprend à rapporter à son corps les impressions qu’elle en reçoit, elle se fait des habitudes pour lui comme pour elle-même. Pendant que le corps tâtonne, chancelle, l’âme réfléchit, hésite, doute. Les besoins se renouvellent, les opérations se répètent si souvent, qu’il ne reste plus de tâtonnement dans le corps, ni d’incertitude dans l’âme ; les habitudes de se mouvoir et de juger sont contractées. Les animaux doivent donc à l’expérience les habitudes qu’on croit leur être naturelles. — Telle est, d’après Condillac, l’histoire psychologique des premières heures de l’huître aussi bien que de l’éléphant, du vibrion aussi bien que du chien et du cheval. J’ai plutôt atténué qu’exagéré l’énergie uniforme de son langage sans nuances, qui dit de la bête quelconque comme il le dirait de l’homme : « ses premiers momens sont donnés à l’étude. »

Cette théorie provoque le sourire, parce qu’elle grossit les similitudes au détriment des différences, qu’elle oublie ou méconnaît. Est-elle fausse ? Même avant tout examen, on sent qu’elle contient une part notable de vérité. Qu’on fasse aussi grande qu’on voudra la distance entre l’homme et l’enfant, entre l’enfant et la bête, l’homme, l’enfant et la bête ont cela en commun qu’ils sont, plus qu’on ne le croit, élèves de l’expérience. Aux uns et aux autres, cette maîtresse a enseigné beaucoup de choses, un peu plus à ceux-ci, un peu moins à ceux-là, selon le degré de l’échelle qu’ils occupent. Récemment encore on allongeait comme à plaisir la liste des instincts, on élargissait sans raisons suffisantes le cercle des innéités. L’un des premiers, M. Albert Lemoine a réagi contre cet excès par d’exactes analyses. On évalue désormais avec plus de juste