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précision le rôle de l’exercice et du tâtonnement dans les progrès des animaux. Il y a des organes sur lesquels la volonté de l’homme n’a aucune prise et qui fonctionnent d’eux-mêmes dès la première minute de la vie : tels sont les instrumens immédiats de la nutrition l’estomac, le pilore, l’intestin et leurs annexes. Quant aux autres, il faut un apprentissage pour s’en servir, comme pour manier un rabot, un marteau, une scie. L’enfant apprend à regarder, à écouter, à serrer les doigts et à les détendre, à marcher, à parler, à mesurer de l’œil la grandeur, la distance. Ce qui trompe les théoriciens, c’est que ces éducations de nos sens et de nos membres se sont faites à l’époque lointaine et oubliée de la première enfance. Elles disparaissent dans cette nuit : on n’en voit que le résultat, et l’on se persuade que la production en a été soudaine. Ce qui trompe encore, c’est que, sous l’aiguillon de la nécessité, il est de ces apprentissages qui sont d’une étonnante brièveté, comme l’action de teter, par exemple. Il faut que le nouveau-né tette ou meure : il ne tarde donc pas à savoir presser le mamelon et aspirer le lait ; mais il n’a pas réussi du premier coup. L’observateur clairvoyant constate chez lui, au début, plus d’un effort inutile et une gaucherie dont la durée est variable. Les jeunes animaux inférieurs à l’homme subissent la même loi. Sans accumuler les exemples rares, il suffit de rappeler le petit oiseau qui s’exerce à voler et à chanter, le chien et le chat qui se mettent d’eux-mêmes à l’école en poursuivant les objets mobiles qui ressemblent à une proie. — Cette part de l’expérience et de l’habitude dans les actes réputés instinctifs, Condillac l’a bien aperçue, du moins en gros : c’est là un des mérites de son système.

S’ensuit-il que tous les actes appelés instinctifs se ramènent à l’expérience et à l’habitude, ou en d’autres termes qu’il n’y ait pas d’instinct ? Pour rendre cette conclusion légitime, il y aurait à démontrer que les actes de l’animal et de l’homme, sans aucune exception, ont dans l’habitude et dans l’expérience leur origine certaine. Or cette preuve, on ne la fait pas, et pour cause. L’expérience est le fruit des actes antérieurs : il est par trop évident que les actes qui ont produit l’expérience l’ont précédée. Mais ces actes qui sont la cause de l’expérience elle-même et qui l’ont précédée, quelle en est la source ? C’est là justement ce qu’il s’agit de découvrir, et cette source, si modeste qu’elle soit, quand on l’aura trouvée, on aura trouvé l’instinct. Dira-t-on, pour éluder la difficulté, que l’instinct, s’il n’est pas l’expérience pure et simple, se confond du moins avec l’habitude ? On rencontrera alors devant soi l’analyse psychologique de l’habitude par M. A. Lemoine, morceau de premier ordre par la profondeur, la solidité des vues et par la clarté de l’expression.