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mouvemens réflexes, même composés. Il eût, en revanche, développé davantage cette pensée, fort juste, que « les phénomènes d’instinct révèlent une grande différence entre la vie physique et la vie psychique. » L’instinct en effet rentre dans la vie psychique, et c’est précisément pour cela qu’il n’est à aucun degré une action réflexe. On s’en assurera en employant le signe qui vient d’être indiqué.

Appliquons-le au phénomène essentiel de notre vie physique, à la nutrition. Ce phénomène se compose d’une longue série de mouvemens dont l’impulsion première est la sensation de la faim. La faim rentre dans l’instinct de conservation : elle en est le stimulant. À quoi cette piqûre douloureuse pousse-t-elle l’être qui la ressent ? à digérer ? Non, à manger, ce qui n’est pas la même chose. On voit tout de suite que la digestion n’est qu’une conséquence de l’acte instinctif, tandis que manger est cet acte même. Étudiez-en maintenant les différences. Il a été montré précédemment que, si quelques-unes des impressions qui résultent de la digestion sont parfois senties, les mouvemens profonds de ce travail interne ne le sont pas. Redisons-le : je ne sens pas, par exemple, l’aliment passer de l’estomac dans l’intestin grêle. Or non-seulement ce passage n’est pas senti, non-seulement je n’en ai pas conscience, mais ma volonté n’y peut rien. C’est un mouvement réflexe, un acte physiologique, étranger à la psychologie. Là, nulle trace d’instincts. Au contraire, j’avale le bol alimentaire déjà préparé par les dents, et par la langue. D’abord cette déglutition est sentie, à moins qu’on ne soit distrait. En outre, elle dépend de ma volonté : je me hâte d’avaler, ou j’y mets le temps, ou je m’en abstiens à ma convenance. Toutefois au début l’acte d’avaler a été involontaire ; il l’est encore aujourd’hui quand je suis préoccupé. Ainsi cette action porte la double marque d’avoir été d’abord spontanée et d’être à mon gré ressaisie par le vouloir. Eh bien ! que l’on cherche un mouvement plus évidemment instinctif : il n’y en a point. Maintenant la liste des faits semblables à celui-là sera celle de nos instincts nutritifs. Il y faudra inscrire, avec la déglutition des solides et des liquides, cette déglutition de l’air qu’on appelle respiration et qui est tantôt spontanée, tantôt volontaire. Vous y mettrez aussi l’acte de teter, qui est le second de la vie, puisque respirer en est le premier, et vous aboutirez à cette conclusion, que « la vie de relation, en tant qu’elle est un auxiliaire indispensable de la vie organique ou nutritive, voilà le domaine où règne surtout l’instinct. »

Certes ce domaine paraîtra bien resserré, notamment à ceux auxquels il coûte si peu de reconnaître une foule d’instincts sur-