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prenans, comme l’instinct monarchique, l’instinct républicain, l’instinct monothéiste, que sais-je encore ? Et pourtant les limites que nous venons de tracer à l’instinct de l’homme sont promptement franchies par les envahissemens de l’expérience. C’est ici une nouvelle distinction à opérer et une autre part à faire. Dès sa naissance, l’enfant commence à apprendre ; dans le second de ses actes, il y a déjà un peu d’expérience, le peu d’expérience acheté par le premier. Il apprend, sinon à téter, du moins à saisir, à marcher, à parler, à comprendre la parole des autres. Cette éducation si diverse, M. A. Lemoine l’a plusieurs fois mise en lumière à l’encontre de certains savans, de M. Flourens entre autres. Cependant il y a des actes qui doivent être exécutés dès notre venue au jour, qui doivent être sus sans être appris, avant toute expérience, sous peine de mort. Ceux-là seuls appartiennent à l’instinct pur. Il est donc d’une méthode exacte de restituer à l’expérience les actes relatifs à la nutrition que l’homme accomplit après ses premiers jours, car ceux-là, il a pu les apprendre, et de rapporter à l’instinct le plus primitif ceux qu’il faut accomplir ou périr, comme avaler, respirer, téter. M. Alexandre Bain[1] définit l’instinct « une aptitude non apprise à faire des actions de toute sorte et plus spécialement celles qui sont nécessaires ou utiles à l’animal. » La formule est trop large en ce qui regarde l’homme : chez lui, cela seul est instinctif qui est rigoureusement et immédiatement nécessaire. Les actes qui ne sont qu’utiles sont appris et viennent plus tard.

Et l’on peut en ce point conclure légitimement de l’homme à la bête. Ce que l’enfant doit exécuter avant toute expérience, parce que le temps de l’apprendre lui manquerait, la bête est obligée à plus forte raison de l’accomplir sans délai, car le temps lui manque encore plus qu’à l’homme, en sorte que la science de nos instincts est tout de suite dans une ample mesure la science des instincts de l’animal. Toutefois ces inductions, pour être justes, veulent être tempérées par des distinctions nombreuses et limitées par des réserves. Dans ce sujet multiple, les termes absolus sont presque toujours faux. Une comparaison incessante des espèces entre elles est indispensable au savant. Ne dites pas, par exemple ? que tous les actes instinctifs sont également imperfectibles et invariables, même chez les animaux les moins doués, car l’observation y surprend quelque progrès au moins dans le cours de l’existence individuelle. N’affirmez pas, comme M. Flourens, que l’instinct est en raison inverse de l’intelligence, car il suivrait de là que l’éponge et le polype, ayant moins d’intelligence que l’araignée qui se laisse apprivoiser,

  1. Les Sens et l’Intelligence, trad. E. Cazelles, p. 209.