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désarmement général qu’on ferait accepter par le Piémont en l’admettant au congrès avec les autres états italiens. Cette combinaison, sur laquelle les cabinets mettaient le dernier enjeu de la paix, n’était, à vrai dire, nullement du goût de Cavour, qui suivait avec anxiété tout ce travail d’expédiens diplomatiques. Tant que l’Angleterre était seule à lui parler de désarmement, il se dérobait à la pression de la diplomatie anglaise, il s’ingéniait à éluder une réponse. Le jour où la proposition officielle de désarmer lui venait également de la France, il ressentait une émotion violente comme à l’heure la plus décisive de sa vie.

C’était le soir du 18 avril, vers minuit, qu’un secrétaire de la légation de France lui portait chez lui le télégramme aussi bref que péremptoire par lequel le cabinet de Paris lui demandait une adhésion immédiate, et à cette lecture, dans un saisissement soudain, il s’écriait « qu’il n’avait plus qu’à se brûler la cervelle. » Il croyait tout perdu, il se considérait comme abandonné en pleine crise par l’empereur, et il se sentait l’âme émue d’une angoisse patriotique à la pensée qu’une œuvre à laquelle il travaillait depuis dix ans, qui avait semblé près de réussir, pouvait être compromise. Le premier moment passé cependant, avec cette élasticité qui était sa force et qui heureusement ne lui laissait pas le temps de se brûler la cervelle toutes les fois qu’il en aurait eu l’occasion, il se remettait à réfléchir. Il agitait dans son esprit toutes les combinaisons et toutes les résolutions. « Il est vrai, disait-il avec animation dans son intimité, il est très vrai que notre amour-propre est sauf. L’Angleterre nous a demandé d’abord le désarmement préliminaire, et nous avons répondu négativement, elle nous a demandé ensuite de souscrire au principe du désarmement, et nous avons encore refusé. Aujourd’hui, si nous adhérons à la proposition de désarmement à la condition d’être admis au congres, nous nous rendons à une demande qui nous est adressée par l’Europe. Notre honneur est sauf ! Nous avons résisté tant que nous avons pu. Néanmoins notre situation est grave, elle n’est pas désespérée, elle est grave… » Cavour avait plus d’une raison de se calmer et de croire que rien n’était désespéré. D’abord, dès le lendemain, il recevait de Londres et surtout de Paris, des Tuileries même, des télégrammes qui commençaient à le rassurer. Puis il y avait un fait dont il n’avait pas saisi toute l’importance : l’adhésion qu’on lui avait demandée, qu’il s’était résigné tristement à mettre sur le fil du télégraphe, cette adhésion n’avait de valeur que si elle était complétée par l’adhésion de Vienne. Il avait prudemment fait son sacrifice pour rester avec l’Europe, pour ne point se séparer de la France ; l’Autriche se soumettrait-elle de son côté ? La question, loin d’être décidée, devenait plus que jamais douteuse. Pendant les premiers