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l’instinct public ; s’il y avait eu une faute d’emportement, il avait commis cette faute avec son pays, et c’était une force pour lui comme pour son pays, dont il restait jusque dans sa retraite volontaire et momentanée le champion toujours disponible.

A peine la première bourrasque passée cependant, on commençait à se reconnaître, et ici encore Cavour se retrouvait bien vite d’accord avec l’Italie. L’impression restait toujours vive, mais on se mettait aussitôt à regarder de plus près cette situation qui venait d’être créée, à démêler le sens des événemens, à chercher une direction nouvelle. Cette paix de Villafranca, qui avait brusquement suspendu l’action militaire, elle n’était pas, après tout, sans offrir des ressources. Elle maintenait, il est vrai, la domination étrangère dans son dernier retranchement de la Vénétie, — elle permettait en même temps peut-être bien des combinaisons, elle laissait une certaine liberté dont on pouvait profiter. Les ducs pouvaient rentrer dans leurs duchés : comment rentreraient-ils ? On devait demander des « réformes indispensables au pape : que ferait-on si le pape refusait ces réformes et si la Romagne refusait de se soumettre au pape ? La France, après avoir combattu pour l’indépendance italienne contre l’Autriche, ne pouvait pas renier les conséquences morales de son intervention et se mettre avec l’Autriche contre l’Italie… Napoléon III était lié par ses œuvres, par ses connivences, par ses préférences intimes. L’Angleterre, cette Angleterre qui n’avait rien fait encore, selon le mot de Cavour, venait justement de passer par une crise qui avait renversé le ministère tory et amené au pouvoir les whigs, Palmerston, Russell. L’Angleterre, à défaut d’un secours matériel sur lequel on ne devait pas compter, pouvait aider plus activement de ses sympathies, de sa diplomatie ; elle y était intéressée, ne fût-ce que pour étendre son influence au-delà des Alpes et chercher son avantage dans l’organisation nouvelle de l’Italie. En réalité, tout restait plus que. jamais en suspens ; que sortirait-il de là ? Le premier moment avait été à la confusion, au trouble, à l’irritation. Ce que n’avaient vu d’abord ni Napoléon III en improvisant une paix qu’il croyait nécessaire, ni les Italiens en subissant cette paix qu’ils croyaient mortelle, c’est que Villafranca, loin d’être un dénoûment, était à peine une halte entre la crise de la veille et la crise du lendemain ; ce n’était qu’une trêve des armes à la faveur de laquelle se préparait une campagne italienne d’un nouveau genre, et Cavour lui-même allait pouvoir revenir sur la lutte pour dégager des conséquences bien autrement imprévues de cette paix qu’il avait maudite.


CHARLES DE MAZADE.