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heureux près du patron qu’il s’était donné, le roi de Navarre, et, si l’on en croit certains témoignages, Charles le Mauvais, qui convoitait ses trésors, l’aurait empoisonné. Ces aventuriers ne pardonnaient pas au pape d’avoir activement travaillé à la paix, qui faisait chômer leur industrie. Les compagnies ne passèrent pas, à beaucoup près, toutes en Italie.

Lorsqu’à la fin de 1361 et au commencement de 1362 Jean Chandos prit possession, au nom du roi d’Angleterre, des principales places du midi de la France, beaucoup de ces bandes inquiétaient encore diverses provinces du royaume, et, loin de se disperser, elles agirent de concert et formèrent une nouvelle armée d’invasion qui s’avança du côté d’Avignon. Le roi Jean se hâta de donner ordre au comte de Tancarville, son lieutenant dans le duché de Bourgogne, de marcher avec toutes ses forces contre les compagnies qui se concentraient, comme elles l’avaient fait deux années auparavant, dans la vallée du Rhône. Jacques de Bourbon, comte de la Marche, et Pierre, son fils, Louis de Forez, se joignirent à Tancarville. Malgré la leçon qu’ils avaient reçue à Poitiers, les chevaliers français, qui croyaient sans doute n’avoir affaire qu’à un ramassis de pillards, s’élancèrent contre eux inconsidérément ; mais les routiers comptaient parmi eux des officiers expérimentés, ils surent prendre d’habiles dispositions. Ils remportèrent à Brignais, près de Lyon, une éclatante victoire. L’élite de notre noblesse y périt ou tomba entre les mains des vainqueurs. Cette victoire ne fit qu’accroître l’audace des aventuriers, et le pape, plus effrayé que jamais, implora le secours du roi de France. Celui-ci était l’obligé d’Innocent VI, qui lui avait prêté une forte somme pour acquitter l’échéance de sa rançon prorogée jusqu’au 17 avril 1362 ; il ne pouvait abandonner le saint-père dans une situation si critique. Il appela donc de Normandie le connétable Robert de Fiennes afin de donner la chasse à ces bandes, qui prirent plus de soixante forts en Maçonnais, en Forez et dans la basse Bourgogne. Elles excellaient dans la guerre de surprises, et une nuit l’une d’elles s’empara ainsi de La Charité-sur-Loire, qu’elle garda un an et demi.

Telle était la puissance des chefs de compagnies, Anglais ou Navarrais, que les capitaines du roi de France durent plusieurs fois traiter avec eux. Ils occupaient une foule de places, et malgré le traité de Brétigny ils ne consentaient à en sortir que moyennant forte composition. Quand le roi Jean put rentrer en France et s’apprêta à se rendre de Calais à Paris, cette capitale se trouvait tout entourée d’une ceinture de forteresses où s’étaient logées les compagnies anglo-navarraises pour intercepter toutes les communications. Les chefs de bandes ne permirent au roi de passer qu’après lui avoir chacun extorqué comme une seconde rançon. Dure