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nécessité pour un prince qui se croyait libre ! elle arrachait à Pétrarque de mélancoliques réflexions. Les souffrances qu’éprouvait la population de notre pays l’avaient d’autant plus exaspéré que les troupes françaises ne se faisaient pas faute de dépouiller les paysans du peu qu’il leur restait.

Les états-généraux se plaignaient vivement de la licence des troupes, contre laquelle sévissait quelquefois le parlement. Des ordonnances défendirent aux gens d’armes, sous peine de la corde, de prendre ni de piller le blé, le vin et les autres denrées. Les populations furent autorisées à résister au pillage et à demander main-forte aux juges voisins ; mais ces mesures ne semblent pas avoir eu grand effet ; les moyens manquaient pour les rendre efficaces. Edouard III et Charles le Mauvais ne faisaient, bien entendu, rien de leur côté pour empêcher des déprédations qui servaient leurs desseins. Le roi d’Angleterre partageait quelquefois avec eux le profit, tout en paraissant demeurer étranger à leurs actes. Quand la guerre était suspendue entre la France et l’un des deux alliés, Edouard III et Charles le Mauvais, les mêmes bandes continuaient à guerroyer pour le compte de l’autre. Ainsi, après la trêve de Bordeaux, les compagnies firent la guerre au nom du roi de Navarre, et quand la trêve fut expirée, la paix de Pontoise conclue, ils la firent au nom du roi d’Angleterre. Charles le Mauvais en effet n’avait pas été plutôt enlevé par Jean de Picquigny de sa prison d’Arleux, qu’il était venu soutenir la révolte des Parisiens, et tout en prêtant son appui aux rebelles qui soudoyèrent d’abord quelques bandes anglo-navarraises, il s’entendit avec Edouard, dont les émeutiers de la capitale faisaient les affaires, M. Luce a mis en relief, par un document de première importance qu’il a découvert, la trahison de Charles le Mauvais, qui s’abouchait avec l’Anglais dans l’espérance visible de le jouer ensuite et de s’approprier la couronne revendiquée par Edouard. Il fallait au roi de Navarre, pour pouvoir accomplir ses projets, se rendre maître de Paris. Etienne Marcel, qui s’était mis dans cette ville à la tête de la révolte et avait tout à redouter du régent, dont il n’espérait plus le pardon, était entré dans cette odieuse trame. Sa fin tragique, arrivée dans la nuit du 31 juillet 1358, l’empêcha, comme on sait, d’ouvrir les portes de la capitale au complice des Anglais et vint anéantir les espérances de ce félon vassal. Dès le lendemain, Charles le Mauvais, que cet événement avait rendu plus modeste dans ses prétentions, invita ses plénipotentiaires à faire enfin aboutir les négociations pendantes depuis plus d’un mois et à signer un traité, en se soumettant aux conditions dictées par Edouard. Ce traité, daté du 1er août et destiné évidemment à demeurer secret, consacrait le démembrement de la France au profit des deux contractans.