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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/486

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l’Inquisition que M. Rosseeuw Saint-Hilaire attribue la disgrâce finale de la princesse des Ursins, quand peut-être cette disgrâce se trouve suffisamment expliquée par le caractère ambitieux et passionné d’Elisabeth Farnèse, peu disposée à supporter la tutelle qu’avait subie la douce et inexpérimentée Louise de Savoie. L’auteur n’invoque pas, dans le récit de ce dernier épisode, d’autre autorité que Saint-Simon, chez lequel nous ne trouvons, ce semble, aucune trace d’une pareille intrigue. Elisabeth, il est vrai, dut s’assurer de l’assentiment de la cour de France ; mais cette cour n’avait, surtout alors, aucun goût à s’entendre avec l’Inquisition. Si le cardinal Del Giudice, alors ambassadeur auprès de Louis XIV, pouvait être compté comme un des ennemis particuliers de Mme des Ursins, il faut se rappeler qu’il venait de mécontenter Versailles en faisant acte de grand inquisiteur dans un document daté de Marly : le roi s’en était plaint auprès de la cour romaine. Il n’était donc pas alors en assez bons termes pour avoir pu négocier le renvoi de la princesse. La résolution d’Elisabeth avait sans doute été prise dès le moment de son départ pour l’Espagne. Ce fut probablement dans ses entre tiens avec la reine douairière, exilée à Saint-Jean-Pied-de-Port, qu’elle arrêta son plan et résolut que sa première entrevue avec Mme des Ursins serait aussi la dernière. En ce moment, à la vérité, elle put et dut avoir quelques communications avec le cardinal, qui avait reçu l’ordre de s’arrêter dans Bayonne au retour de son ambassade ; elle put se convaincre qu’elle serait soutenue au besoin non-seulement par l’Inquisition, mais par le parti national, qui souffrait difficilement des mains d’une étrangère les sages et excellentes réformes apportées par Mme des Ursins en Espagne ; mais là se borne vraisemblablement le rôle que le grand inquisiteur put se réserver dans un drame où les ressorts politiques eurent finalement moins de part que les passions féminines. La seule chose que le faible Philippe V ait paru comprendre, c’est le tracas que lui causerait une lutte évidemment inévitable : il n’est pas étonnant qu’il ait sacrifié à la jeune reine la dominatrice plus que septuagénaire qui lui avait pourtant rendu de si grands services. Cela n’empêche pas que M. Rosseeuw Saint-Hilaire n’ait eu raison de représenter la princesse des Ursins comme l’énergique et fidèle organe de l’esprit français voulant tenter un effort suprême pour réformer l’Espagne, et il reste vrai que l’Inquisition fut au nombre des institutions mauvaises qu’elle combattit. Au milieu de la réaction qui suivit la chute de Mme des Ursins, tout le fruit de ses peines n’a pas péri : elle a préparé le règne réformateur de Charles III ; sa domination auprès de Philippe V est la première et, peu s’en faut, la plus intéressante page de l’histoire d’Espagne au XVIIIe siècle.

A. GEFFROY.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.