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résultantes que l’analyse peut toujours réduire aux forces élémentaires composantes, car, par parenthèse, il n’est pas de principe moins conforme à l’expérience que le prétendu axiome cartésien, à savoir qu’il ne peut y avoir rien de plus dans l’effet que dans la cause. La nature opère par une méthode exactement contraire. En procédant invariablement du simple au composé, elle va toujours du pire au meilleur, de la matière brute à la vie, de la vie à la sensibilité et à l’instinct, de la sensibilité et de l’instinct à l’intelligence, à la raison, à la volonté. En un mot, partout et toujours, c’est le simple qui explique le composé, c’est la partie qui explique le tout. Toute unité n’est qu’une collection, aussi bien l’unité organique et vivante, l’unité sentante et pensante que la simple unité mécanique, physique ou chimique. La loi des résultantes est le principe de toute philosophie qui a la prétention de résoudre scientifiquement les problèmes concernant la raison des choses.

Devant ce mécanisme absolu, entraînant dans les mouvemens irrésistibles de son engrenage la nature entière, y compris le monde des êtres qui sentent, qui pensent et qui veulent, il était impossible qu’à côté des protestations indignées des vieilles écoles de métaphysique ne s’élevassent point les réclamations de la science positive elle-même. C’est donc sur un terrain nouveau que le débat devait s’engager entre les partisans et les adversaires du matérialisme, entre les savans qui ne voulaient plus entendre parler de métaphysique et les philosophes qui maintenaient fermement certains principes, certaines idées de haute philosophie, tout en abandonnant les formules des vieilles écoles. D’un côté comme de l’autre, on rejette toute spéculation a priori, on n’invoque plus que l’expérience et l’analyse. C’est avec les faits qu’on prétend édifier ou renverser les systèmes. Les philosophes se font savans. L’éducation philosophique, qui depuis cinquante ans s’était trop faite par la littérature et l’histoire, commence à se faire par la science. Nos jeunes professeurs et nos jeunes écrivains qu’attirent les questions de philosophie et de métaphysique lisent et méditent les ouvrages de science, visitent les cabinets d’histoire naturelle, fréquentent les laboratoires, assistent aux expériences, et parfois y prennent part, sans délaisser d’ailleurs les études historiques sans lesquelles un esprit, si judicieux et si sagace qu’il soit, ne pourrait assurer sa marche. Veut-on voir un symptôme significatif de cette éducation toute nouvelle de nos jeunes philosophes ? On n’a qu’à lire les premiers numéros d’une Revue philosophique publiée sous la direction de M. Th. Ribot ; on reconnaîtra bien vite le phénomène que nous venons de signaler dans l’esprit même de ce recueil ; c’est une curiosité aussi ardente pour les œuvres sérieuses de la philosophie, dans