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ce ne fut pas sans quelque émotion que Stephen Burrough se jeta au milieu du tourbillon d’écume où la lodia russe s’était la première engagée. Le 20 juillet, la pinnace reprenait la mer ; Gabriel et Stephen Burrough, d’un commun accord, séparaient leurs fortunes. Le temps était beau et le vent soufflait de terre : Stephen n’en eut pas moins « à remercier Dieu que son vaisseau tirât si peu d’eau, » car il lui fallut, pour sortir du fleuve, traverser un fond moindre encore, que celui qu’il avait rencontré en y entrant.

Stephen n’avait eu jusqu’alors à subir que les épreuves inhérentes à tout voyage de découverte. Un danger plus sérieux, dont paraît avoir été exempte la navigation de Willoughbyi l’attendait à la sortie de la Petchora. Le 21 juillet, les marins du Searchthrift crurent apercevoir la terre du côté de l’est. Ils venaient de découvrir en réalité un monstrueux amas de glace.

La glace qui encombre si souvent les bassins des mers polaires a deux origines différentes. L’une est le produit de l’eau douce, l’autre de l’eau salée. Les montagnes flottantes qu’on rencontre parfois errant au gré des vents, jusque sous le 48e degré de latitude, sont des glaciers pareils à ceux des Alpes. Un long suintement a limé leurs crampons, et l’obliquité de leur poids les a fait glisser peu à peu du flanc de la montagne. Ces glaciers ne constituent pas seulement, quand il leur arrive de se détacher du rivage, un immense archipel dérivant tout d’une pièce vers le sud. Outre la vaste et uniforme dérive que leur impriment les courans polaires, ils ont à subir une autre action. Bien qu’ils émergent à peine de 200 pieds au-dessus de la surface, alors même que la hauteur totale de l’iceberg en mesure souvent près de 2,000, cet énorme tirant d’eau ne saurait être le gage d’une inertie complète. Le vent pousse les diverses fractions de la banquise devant lui, et il les pousse généralement d’un mouvement inégal. Le baleinier qui prend le parti d’abriter son navire sous ce rempart à pic et d’y fixer pour un instant son câble, aurait donc tort de se fier à une vaine apparence : le bloc se meut, — si muove. — Il se meut, et, suivant la superficie émergée qu’il déploie, suivant le plus ou moins d’aptitude que sa carène possède à fendre l’onde, il demeure en arrière des autres îlots ou les gagne insensiblement de vitesse. De ces inégalités de marche résultent des collisions formidables. On croirait assister à la rencontre de deux mondes. Le cristal éclate avec un long craquement sous le choc, la masse se divise et de larges fêlures sillonnent en tous sens la montagne tout à l’heure compacte et transparente. Pour l’îlot qui vogue isolé, la dissolution se fait peu attendre. La température plus élevée des couches inférieures de l’Océan l’attaque par le bas ; par en haut, le soleil d’été travaille sans relâche à le démolir. Sur les flancs ruinés de la forteresse qui s’écroule descendent