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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/685

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propres. La loi française dut seulement intervenir dans les contestations entre les indigènes et les Européens, et entre indigènes de nationalités différentes. Qu’elle fût cependant destinée à devenir la règle unique, nul de nos gouvernans n’eût pu le méconnaître qu’en abdiquant l’un des principaux attributs de la souveraineté. Ils ont en effet plusieurs fois témoigné par des actes qu’ils se préoccupaient de préparer ce résultat. Un de leurs moyens a consisté à restreindre progressivement la compétence des tribunaux indigènes, et quelquefois à les supprimer, pour en transférer les attributions à nos juges. Cependant leurs vues n’ont pas été constantes, et l’instabilité si souvent reprochée à la politique algérienne s’est manifestée jusque sur le terrain des institutions judiciaires. L’on ne peut se rendre compte des motifs qui empêchent encore le législateur de conférer à l’Algérie le bienfait de l’unité de juridiction, qu’en connaissant le rôle et les conditions de la justice indigène et française depuis les premiers jours de la conquête. C’est ce côté de la question algérienne que nous nous proposons d’étudier aujourd’hui.


I. — TRIBUNAUX ISRAELITES.

La capitulation d’Alger est l’acte fondamental qui a réservé aux indigènes « le libre exercice de leur culte, de leurs lois et de leurs coutumes. » Quoique conclue avec une autorité qui entendait uniquement stipuler pour les musulmans, nous tînmes à honneur d’en étendre le bénéfice à la population israélite, qui nous parut avoir un droit égal aux mêmes garanties. Les maîtres du sol avaient déjà, par une tradition venue sans doute des Romains, laissé aux Juifs pour leurs contestations entre eux des juges de leur race et de leur religion ; les cadis maures connaissaient seulement des litiges entre musulmans et israélites, et des poursuites criminelles dirigées contre tous les indigènes. Dans cette société juive organisée théocratiquement, et où les lois civiles et religieuses se confondaient, les fonctions judiciaires ne pouvaient naturellement appartenir qu’à des personnes investies déjà de celles du sacerdoce ; mais la juridiction des rabbins était purement arbitrale, non une institution fixe tenant son titre de l’autorité politique. Un de nos premiers soins fut de lui donner la consécration légale, et un arrêté du gouverneur-général du mois d’octobre 1830 la convertit en un tribunal régulier chargé de juger souverainement les causes entre israélites. Comme les Juifs n’avaient jamais disposé d’une force publique quelconque, la principale garantie d’exécution des jugemens des rabbins résidait par conséquent dans la piété et la bonne volonté des parties. Si l’autorité morale des rabbins s’était passée de secours matériels dans les conditions faites à la communauté juive en un temps et