Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/698

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indigènes, qui serait en quelque sorte l’oracle de la loi musulmane, dont il aurait pour mission d’éclaircir les obscurités et de maintenir intègre la tradition. Les magistrats français n’étaient tenus de recourir à ses lumières qu’en cas de difficulté dans les questions d’état et de statut religieux, mais ils devaient obligatoirement alors en suivre l’avis. Lorsque, appelé à émettre une opinion sur la fixation, si capitale en droit musulman, de la durée de la grossesse, il décidait, conformément aux commentaires de Sidi-Khalil, Ibn-Aaroun, Ibn-el-Khassem et autres interprètes autorisés du Coran, qu’un enfant peut dormir quatre ans dans le sein maternel, notre magistrature n’avait qu’à consacrer ce préjugé. Il était dans la destinée de cette étrange institution que les services même qu’elle rendrait fourniraient le prétexte pour la supprimer. Ces services ne pouvant en effet résulter que de l’adoption d’une jurisprudence en harmonie avec nos idées juridiques, le conseil devenait dans ce cas une superfétation, comme dans le cas contraire un obstacle. Il a mieux aimé se rendre inutile qu’embarrassant. Il a notamment abdiqué sur cette question de la gestation de la femme, en finissant par la fixer entre six et neuf mois. Cette décision, qui scandalisa fort les orthodoxes, témoignait du progrès de nos idées parmi les membres éclairés de l’indigénat, et par suite de l’inanité d’une institution destinée à servir de barrière contre ces idées, dont la propagande est d’ailleurs favorisée aujourd’hui par une politique contraire aux théories séparatives de 1866. C’est ce que la députation et la presse algériennes représentèrent avec une insistance qui a fini par obtenir gain de cause. Après un fonctionnement de neuf années, durant lesquelles il ne fut guère consulté qu’une dizaine de fois, ce conseil, qui plaçait notre magistrature dans une condition anormale d’infériorité, a été supprimé par un décret présidentiel du 11 novembre 1875.

La commission d’Alger, pénétrée des véritables intérêts de l’indigénat, y satisfit d’autre part par un ensemble de mesures dont il suffira d’indiquer les principales pour en faire apprécier les avantages. Elle investit les tribunaux d’Oran et de Constantine, pour les habitans musulmans des provinces de l’ouest et de l’est, des attributions uniquement dévolues jusque-là à la cour d’Alger ; elle organisa une procédure simple, rapide et économique ; elle donna aux juges de paix, dans les limites de la compétence du cadi et à la charge de se conformer à la loi musulmane, juridiction sur les indigènes qui se présenteraient volontairement à leur prétoire ; enfin elle soumit à un examen les candidats aux fonctions de la justice musulmane, dont on n’exigeait auparavant aucune garantie de capacité. Pour faciliter à ceux-ci les études nécessaires,