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Ce triste calcul fut déjoué par la noblesse et la générosité du jeune prince. Il était en route pour l’Angleterre quand ce vote si désagréable avait eu lieu, c’est à Aix-la-Chapelle qu’il en fut informé. Stockmar, inquiet des sentimens d’amertume que pouvait lui causer cette nouvelle, s’était empressé de lui envoyer des explications, pour atténuer au moins la brusquerie et la violence du coup. Cette précaution était superflue : le prince ne mettait pas sa dignité dans une question d’argent. La seule chose qui l’affligea, — il l’écrivit à Stockmar, — c’était de ne pouvoir plus venir en aide aux artistes et aux savans aussi largement qu’il l’aurait désiré. Ce budget qu’on avait réduit presque de moitié, c’était le budget des sciences, le budget des lettres et des arts. Il serait obligé de se conformer au vote de la chambre et de restreindre ses libéralités, Il n’avait en cette affaire aucun autre chagrin que celui-là, Quant aux ressentimens politiques dont certains stratégistes espéraient le voir animé, on vit bien par la suite que sa droiture et sa bonne humeur l’en préserveraient toujours. Le roi des Belges prenait la chose moins tranquillement, il s’indignait surtout de l’affront infligé à la reine. « Je ne puis comprendre, écrivait-il à sa nièce, qu’un parti si dévoué à la dignité de la couronne ose traiter ainsi sa souveraine, et cela dans une de ces occasions de la vie privée où les plus aigres, les plus sombres, se détendent, s’épanouissent, n’ont plus que des sentimens de bienveillance, » La reine aussi éprouvait une indignation profonde et ne la contenait qu’avec peine[1]. Le prince, lui, n’eut besoin d’aucun effort pour conserver la plus parfaite sérénité ; il avait compris dès cette première aventure que les violences du parlement étaient surtout des violences de parti à parti, et que, même dans le cas où elles semblaient atteindre la couronne, ce n’était là qu’une apparence vaine : la bataille en réalité se passait dans les sphères inférieures.

Un autre vote qui blessa la reine plus cruellement encore, car il touchait de plus près aux personnes, ce fut le vote relatif au rang du prince-consort. Le désir de la reine et du prince était que le prince eût le premier rang après la reine, le premier rang sans nulle exception, c’est-à-dire qu’il eût le pas non-seulement sur tous les membres de la famille royale, sur tous les fils et petits-fils de George III, mais sur les princes mêmes qui naîtraient de leur union, par conséquent sur les futurs héritiers de la couronne. Rien de plus juste à première vue ; si le prince-époux, suivant la loi politique, ne peut venir qu’après la reine, ce sacrifice de la dignité

  1. Voyez Early years of the Prince-consort, p. 289.