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la barre du tribunal où l’on examine ses titres. On semble moins aujourd’hui lui tenir compte de ce qu’il a fait que lui demander raison de tout ce qu’il n’a pas fait. Les philosophes lui reprochent d’avoir manqué de philosophie et de n’être point un penseur. Il a, disent-ils, volontairement ignoré les grands problèmes pour lesquels l’âge présent se passionne. La crise philosophique provoquée par Kant l’a laissé froid ; le fait est qu’un jour ayant essayé de lire un volume du sage de Kœnigsberg, il n’y avait rien compris : c’était pour lui du sanscrit. Ils ajoutent qu’il n’a su développer aucune grande vérité sociale, et que son influence a été plus funeste que bienfaisante. Les historiens, de leur côté, prétendent qu’il n’a été que le représentant des idées chères au petit cercle de Holland-House. Ils l’accusent d’avoir fait passer dans le style historique les procédés de l’art oratoire, d’avoir transformé le récit des événemens en un cours de morale et remplacé les vues profondes par des plaidoyers pompeux. On a même été jusqu’à l’appeler philistin, voulant caractériser par là son indifférence pour la métaphysique et pour la haute poésie. Les littérateurs ne le traitent pas beaucoup mieux. Ils signalent chez lui l’abus du style coupé, la monotonie des phrases, la recherche des antithèses, et cette limpidité même à laquelle il faisait tant de sacrifices ne trouve pas grâce devant leurs yeux. Ces critiques ne pénétreront probablement jamais jusqu’au grand public qui a pris la gloire de Macaulay sous sa garde ; mais, malgré une évidente exagération, elles renferment une part de vérité. Il y avait plus de surface que de profondeur dans l’esprit de Macaulay, et l’on peut soutenir sans paradoxe que son talent offre des lacunes. Une chose est incontestable, c’est l’insouciance de Macaulay pour la plupart des questions de son temps.

Par une contradiction singulière, cet homme dont le nom rappelle le souvenir d’une grande réforme politique, cet orateur dont la parole avait tant d’autorité sur ses semblables, une fois la lutte terminée et le but atteint, n’avait rien de plus pressé que d’aller vivre par la pensée avec les contemporains de Périclès et d’Auguste, avec les compagnons du prince d’Orange et les beaux esprits du XVIIIe siècle. Là seulement il se sentait parmi ses pairs, et ce monde des morts devenait pour lui le vrai monde des vivans. La moindre chanson des rues, pourvu qu’elle eut un siècle et demi de date, l’intéressait plus vivement que les plus belles poésies du jour, et l’on a fort bien dit qu’il prenait plus de part aux controverses politiques, religieuses ou littéraires qui agitèrent les règnes de Guillaume III et de la reine Anne, qu’à celles de l’Angleterre sous la reine Victoria. Sa jeunesse avait été nourrie de Pope, de Swift et d’Addison, il savait par cœur les vers burlesques de Prior et d’Arbuthnot ; mais