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néanmoins les bonnes grâces du tsar. Le marché de Novgorod lui semblait à bon droit un des débouchés les plus importans que la navigation de Lubeck, de Hambourg et de Brème pût offrir aux draps de l’Angleterre, des Flandres et de la Hollande. C’était également de ce marché qu’arrivaient dans les ports de Narva, de Riga, de Dorpat, de Revel, la plupart des objets que les fabriques de l’Occident mettaient journellement en œuvre : le lin, le chanvre, les cuirs, sans compter la cire et le miel. Comment les mauvais procédés des Anséates n’avaient-ils donc pas fini par amener la suppression de ce vieux privilège, dont les profits auraient dû faire au moins accepter les charges ? Le tsar souffrait tout des villes anséatiques, parce qu’il lui eût été plus pernicieux encore de vouloir se passer de leur égoïste et exigeant concours. La Prusse, la Pologne, la Suède, l’ordre reconstitué des chevaliers Porte-glaives, que l’ordre Teutonique avait, en se dissolvant, laissés comme une épave sur les plages de la Livonie, l’entouraient de toutes parts d’un blocus hermétique. Rompre avec les navigateurs et les négocians de Lubeck, c’eût été se laisser rejeter brusquement vers l’Asie. Or l’ambition avouée de la nation russe était déjà de redevenir ce qu’elle avait été à deux reprises différentes, sous les Goths et sous les Varègues, au IVe et au IXe siècle, une puissance européenne. Ivan ne pouvait donc que ronger son frein en silence, et la ligue, resserrant peu à peu les liens qui l’assujettissaient, s’applaudissait tout bas des heureux effets de sa politique prévoyante ; mais les plus sages calculs sont souvent déjoués par un incident futile. La ligue avait compté sans l’Edouard-Bonaventure.


II

Lorsque, dans la nuit du 3 au 4 août 1553, Chancelor eut été séparé de ses compagnons, ce fut, nous l’avons dit, vers le point qui venait de lui être assigné pour lieu de rendez-vous qu’il prit le parti de se diriger. Il s’était cramponné, dès le début de la tempête, à la côte ; il n’eut qu’à la suivre de près pour atteindre le mouillage ; que Willoughby, revenant du large, s’évertuait vainement à chercher. Durant sept jours entiers ; l’Édouard-Bonaventure attendit au port de Varduus la Speranza et la Confidentia. Willoughby et Durforth étaient, à cette heure, plus près de l’embouchure de la Petchora que du fiord où Chancelor avait espéré les rejoindre. Le temps était précieux ; Chancelor ne voulut pas s’attarder davantage. Le sort le laissait seul ; il poursuivrait seul le voyage. Les barques écossaises visitaient quelquefois les côtes du Finmark. Elles ne se hasardaient jamais au-delà de Varduus. C’était à ce port