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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/87

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Grande-Horde. Le prince de Kazan n’était plus qu’un des voïvodes d’Ivan IV. Quelques mois plus tard la prise d’Astrakan étendait la puissance des Slaves jusqu’aux bords de la mer Caspienne. C’est à l’époque même où ce nouveau succès devait porter au comble l’orgueil du jeune tsar qu’un messager parti de Colmogro[1] vint annoncer au prince, récemment rentré à Moscou, l’apparition d’un navire anglais sur les côtes septentrionales du gouvernement de Vologda. Jamais, on va le voir, nouvelle inattendue ne fut plus opportune ; jamais courrier n’eut lieu de se promettre accueil plus favorable à la cour d’Ivan IV.

Les villes anséatiques ne s’étaient nullement préoccupées des convulsions intérieures qui fondaient, aux dépens des anciens apanages, l’unité politique de l’état moscovite. Que Novgorod fût fief ou province, c’était toujours avec Novgorod que Lubeck et Hambourg entretenaient leurs habituelles relations de commerce. Par cette voie arrivaient sans cesse les armes à feu et les autres engins de guerre que les arsenaux de Moscou ne savaient pas encore fabriquer. Tant que le grand-duché ne fut pour l’Europe qu’un boulevard contre le retour des Mongols, qu’un frein nécessaire aux ardeurs belliqueuses de la Lithuanie, les Anséates crurent pouvoir sans danger le favoriser dans son développement ; mais lorsqu’ils s’aperçurent que le colosse, ayant déjà un pied sur la Caspienne, prétendait poser l’autre sur les bords de la Baltique, ils songèrent à restreindre les importations où s’alimentait l’inquiétante vigueur de ce corps gigantesque. Le commerce des armes ne se fit plus avec la Russie que par contrebande. Impatient de trouver dans l’industrie nationale les ressources que lui refusait la navigation étrangère, Ivan Vasilévitch résolut alors de faire venir d’Allemagne une centaine d’ouvriers dont la main exercée saurait donner le branle à ses manufactures.

Un Saxon nommé Schlit s’occupait activement de recruter cet utile renfort. Instruit de son projet, l’empereur Charles-Quint n’y faisait nul obstacle. Tout marchait donc à souhait quand une rumeur étrange se répand à Moscou. Schlit vient d’être arrêté, par ordre de la ligue anséatique, à Lubeck. On devinera sans peine l’indignation d’Ivan IV. La Hanse se proposait deux choses bien difficilement compatibles : elle eût voulu maintenir la Russie dans un état de sujétion commerciale, d’incapacité militaire, et garder

  1. Kholmogori dans le gouvernement d’Arkhangel, bâtie à 100 verstes de la mer, sur une île de la Dwina. Cette ville compte aujourd’hui 500 habitans. Nous lui conserverons le nom de Colmogro, sous lequel nous l’ont fait connaître les Anglais, qui la plaçaient alors par 64° 25’ de latitude nord, d’après les observations de Stephen Burrough.