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l’olympe du cabinet ; il sonna la trompette dans un grand banquet offert à sir Charles Napier avant son départ pour la Baltique. M. Bright reprocha à Palmerston à la chambre des communes le ton léger du discours qu’il prononça à cette occasion, et le compara aux gens qui excitent les coqs à se battre. Le peuple anglais n’avait plus d’oreille pour Bright, et le fifre de Palmerston réjouissait son cœur autant que la vue des « habits rouges » et des « vestes bleues. » Les portes, fermées depuis Waterloo, étaient rouvertes, et l’Angleterre, toujours avide de grandes émotions, commençait avec une sorte de joie sauvage son nouveau duel avec la fortune.

Les péripéties de ce grand drame sont bien connues : nous n’avons à nous occuper que de la part prise par Palmerston ; il se trouva porté bientôt au pouvoir par une force irrésistible ; l’Angleterre, irritée par les lenteurs de la guerre, les souffrances de son armée, ne vit bientôt plus d’espoir qu’en lui. Le 15 février 1855, il écrivait à son frère de Downing street :

« Quod nemo promittere Divum
Auderet volvenda dies en attulit altra.


Il y a un mois, si quelqu’un m’eût demandé quel était l’événement le plus impossible, je lui aurais répondu : c’est de me voir premier ministre. Aberdeen était là, Derby était le chef d’un grand parti, John Russell d’un autre, et pourtant en dix jours ils ont été emportés comme de la paille dans le vent, et me voici, vous écrivant à Downing street, premier lord de la trésorerie. Le fait est qu’Aberdeen et Newcastle étaient discrédités, on ne les croyait plus à la hauteur des circonstances. Derby avait conscience de l’incapacité de la plus grande portion de son parti ; John Russell, par la façon dont il a subitement quitté le gouvernement, avait tellement perdu son empire dans son parti que j’étais le seul de ses amis politiques disposé à servir sous lui. » Les plaisirs des sens sont peu de chose, disait Saint-Simon en savourant l’humiliation des légitimés ; Palmerston pouvait goûter un plaisir raffiné en voyant celui qui l’avait renvoyé du ministère non-seulement lui céder, lui offrir, comme au plus digne, le pouvoir que ses mains ne pouvaient retenir. Il était devenu pour le moment « l’inévitable. « Il envoya lord John Russell à Vienne pour l’amuser à des négociations sur lesquelles il ne comptait guère. La mort de l’empereur Nicolas semblait les rendre plus faciles ; mais Palmerston avait des prétentions exorbitantes : dans les instructions secrètes qu’il envoie à lord John Russell le 28 mars 1855, il lui recommande de ne pas se laisser étourdir par le bruit qu’on fait autour des fameux « quatre points. » Les seuls points importans sont le premier et le troisième ; il faut absolument fermer les principautés à l’occupation russe ; il faut empêcher le