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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/922

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Européen userait d’une servante, non sans exciter des orages à l’intérieur de sa maison. La règle est d’épouser les femmes de naissance distinguée, et celles-ci, quoique placées dans une condition inférieure d’après la loi de Mahomet, ont une éducation relativement bonne, complétée souvent par une élévation de caractère et une dignité naturelles qui sont de tous les pays et de toutes les religions. Ces personnes de distinction sont très capables d’élever leurs fils, de leur donner de saines notions du juste et de l’injuste, du droit et du devoir ; si légalement elles sont inhabiles à exercer une tutelle politique, elles sont aptes dans l’intérieur à modérer le caractère du souverain mineur, à exercer sur ses actes une influence salutaire. L’influence des princesses musulmanes devrait donc être la règle, comme celle des esclaves du harem doit être l’exception. Il est certain que la conduite des souverains est plus importante que les lois qui leur sont faites. Ismaïl-Pacha, par exemple, qui n’a point de goût pour les désordres des harems, avait les meilleures raisons d’obtenir, en faveur de ses enfans, qu’on dérogeât aux usages en matière de succession. Un personnel nombreux de femmes de toutes conditions est un apanage de la dignité des princes orientaux ; mais en Orient comme en Europe le caractère des hommes peut les garantir de la débauche, dont les occasions à Paris et à Berlin ne sont pas moins fréquentes qu’au Caire ou à Constantinople.

Le vœu d’Ismaïl-Pacha devait être accueilli favorablement dans cette dernière ville, ou il rencontrait une connivence secrète ; Abdul-Aziz ne pouvait se montrer indifférent à une requête qui l’intéressait lui-même, tant c’est chose naturelle de transmettre son héritage à ses enfans ! Mais le gouverneur de l’Égypte avait un auxiliaire irrésistible, c’était sa richesse. Le ministère ottoman vit dans sa demande une belle occasion de l’alléger d’une partie de sa richesse et fit sonner bien haut la valeur du privilège qu’il était trop heureux d’accorder, car cette faveur devenait un précédent qu’on pourrait invoquer plus tard. On fit observer au pacha que, le firman de 1841 ayant été combiné avec les puissances, un nouvel accord entre elles était indispensable pour la modification de cet acte organique. Or les puissances n’avaient aucune objection à faire, et, si l’on consulta les ambassades, ce fut uniquement pour la forme. Le changement demandé avait un caractère social et religieux, et n’intéressait pas la politique étrangère. On a dit qu’Ismaïl, pour obtenir l’hérédité directe, avait calomnié ses parens et les avait accusés de conspirer contre le sultan. Il n’a pas eu besoin de ce subterfuge. Un seul argument pouvait lever toutes les difficultés. Le prince, vice-roi, ne l’ignorait certes pas. La seule question à débattre était le montant de la somme. Naturellement Ismaïl devait