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chacun déjà s’attribuait sa part du royaume, c’était le morcellement de la France. Bouillon recevait la Normandie jusqu’à la Touraine, Soubise, la Bretagne et le Poitou ; La Trémouille, l’Angoumois et la Saintonge ; aux La Force devaient échoir la basse Guyenne et le Béarn, aux Rohan la haute Guyenne et le haut Languedoc, aux Chatillon la ligne du Rhône, les Cévennes, le Gévaudan et le Vivarais, aux Lesdiguières la Provence, le Dauphiné et la Bourgogne. Luynes vit le péril et le conjura, mais à l’aide des vieux moyens, en pactisant avec la ligue, en la divisant, en gagnant les chefs à prix d’or et d’honneurs, car à cette époque la rébellion était encore une manière certaine de conquérir le bâton de maréchal ou l’épée de connétable. Patience ! à la mort de Luynes, tout le système allait changer ; autre temps, autre ministre, et ce qui fait aujourd’hui la fortune de Lesdiguières demain fera l’échafaud de Montmorency.

Ces plans d’attaque et de renversement de la monarchie, Richelieu ne les avait que trop suivis de près. Spectateur dès l’enfance des misères de la situation, Louis XIII avait eu le temps de réfléchir ; opprimé, il se releva, mais par un de ces attentats qui sont l’ordinaire ressource des impuissans ; le coup de pistolet de Vitry délivra la France du maréchal d’Ancre. « Bien coupé, mon fils, maintenant il faut recoudre. » Recoudre ! il en eût été bien empêché, mais son mérite fut, après avoir fait maison nette, de reconnaître l’homme de son règne et, l’ayant reconnu, de s’y tenir. A dater de 1624, il n’y a qu’une politique systématiquement pratiquée et poussée à ses extrêmes conséquences ; l’heure est passée des arrogans défis et des protestations à main armée. Le roi règne et le cardinal gouverne, nulle autorité que celle du souverain en qui s’incarne la volonté d’un ministre sans scrupules, d’un homme en quelque sorte impersonnel pour l’inflexibilité de son attitude, résolu d’avance à briser tout ce qui s’oppose à l’accomplissement de ses desseins et voulant une France maîtresse du monde, un Louis XIII maître de la France et par dessus tout un Richelieu maître de la France et du roi. Entre le monarque et son ministre l’accord fut complet, prolongé ; admettons cependant les querelles, brouilles, raccommodemens et ces incompatibilités d’humeur qui venaient souvent troubler le ménage et que pourrait ignorer la grande histoire, car elles se résolurent toujours à l’avantage de l’état. Louis XIII avait accepté le joug, il le subit et jusqu’au bout ; c’est là ce qui constitue, à mon sens, sa vraie gloire. Où tel prince vulgaire n’eût considéré que la diminution et l’effacement de sa personne, il n’envisagea que le bien du royaume. Sachons-lui gré d’un pareil mouvement et surtout de sa persévérance à s’y maintenir, mais gardons-nous aussi de certains entraînemens