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d’admiration. Attribuer aux seuls bons sentiments de Louis XIII l’appui qu’il prêta constamment à son ministre, c’est aller bien loin. Cette conduite, après tout, son propre égoïsme la lui conseillait, et Louis XIII, ne l’oublions pas, est un des plus beaux égoïstes qu’on ait jamais vus sur le trône. Pareils mariages n’ont pas besoin d’amour, la raison leur suffit, la raison d’état. Pourquoi Louis XIII se fût-il mis en peine d’aimer le cardinal, lui qui n’aima jamais personne, pas plus sa mère que ses maîtresses et ses ministres, et qui, en perdant Luynes, éprouva le même soulagement, le même débarras qu’à la mort de Richelieu ? Tout ferme propos répugnait à sa nature ; aimer vigoureusement, haïr avec suite, il ne savait, et cette absence de virilité dans les sentimens donne à sa figure un caractère terne et chlorotique dont l’expression vous affecte presque aussi désagréablement que la laideur. Au fond, il vaut mieux que ce qui l’entoure, il vaut mieux que sa mère et que Gaston, esprits brouillons et dangereux, médiocrités inconscientes, tandis que lui se rend compte de ses faiblesses et de ses imperfections ; s’il pouvait seulement d’abord être un homme, peut-être serait-il un grand roi : les sens lui manquent. En amour, il n’a que des velléités ; voyez-le avec Mlle d’Hautefort, avec Mlle de La Fayette ; il ignore comment s’y prendre, et sa gaucherie le replonge dans son néant, de même que l’idée fixe qu’il a de son néant le rend inquiet, soupçonneux, et par instans le pousse à des résolutions suprêmes par lesquelles il s’imagine affirmer sa force de volonté.

Un jour que Mlle d’Hautefort lui rappelait sa promesse de ne jamais la laisser tomber en disgrâce : « C’est vrai, lui répondit Louis, mais j’ai mis à ma promesse cette condition, que vous seriez raisonnable et ne me donneriez pas l’occasion de me plaindre de votre conduite ; ce n’est pas assez d’être une honnête femme pour avoir droit à mon amitié, il faut encore ne point prendre part aux querelles et aux intrigues, ce que je n’ai jamais pu obtenir de vous. » Pauvre roi que l’ombre du grand ministre venait ainsi relancer jusqu’en ses plus intimes distractions et pour qui l’amour, ce pain des forts qui régénère, ne fut hélas ! qu’un jeu d’enfant timide et chagrin. Ce Richelieu qu’il n’aimait pas et ne cessa jusqu’à la fin de supporter impatiemment, il n’en était pas moins heureux de l’avoir rencontré. Dirai-je que l’honneur de l’avoir découvert n’appartient même pas à Louis XIII ? Le destin, qui évidemment à cette époque se mêlait de nos affaires, le lui amena par la main, et nous ne voyons guère qu’on se soit d’abord montré bien empressé. Il fallut toute l’entremise de la régente rentrant au conseil après la mort de Luynes pour vaincre les mauvaises dispositions du roi ; sa faiblesse se raidissait contre cette domination qu’il sentait venir ;