Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/946

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’éclairant : « Chavigny, Chavigny, qu’on me copie cette dépêche et vite ensuite chez le roi ! » C’était le traité avec l’Espagne, Richelieu tenait enfin un document. Aux traîtres d’être sur leurs gardes aussi longtemps qu’un dernier souffle de vie animera ce corps en ruines ! Cinq-Mars, de plus en plus insupportable, poursuivait le cours de ses arrogances vis-à-vis de Louis XIII, qui décidément le « vomissait. » Arrive Chavigny, le roi ne résout rien encore. Les amis de Cinq-Mars l’exhortent à fuir ; mais son étourderie passe outre, il monte à cheval. Louis XIII pendant ce temps cède à la pression du cardinal, et le 12 juin 1642 les conjurés sont arrêtés. Cinq-Mars cette fois cherche à se dérober, il se réfugie chez une femme, reste vingt-quatre heures caché dans un lit sous les couvertures et ne réussit pas à s’échapper.

C’était pourtant bien peu de chose qu’une simple dépêche pour une procédure capitale et cela contre un criminaliste tel que De Thou. Des preuves ! mais Gaston en avait les mains pleines, il ne s’agissait que de menacer ; Richelieu se chargea de ce soin, et le triste héros lui livra tout son portefeuille. De ce jour, Cinq-Mars et De Thou furent perdus. Louis, de son côté, se mourait de consomption. Il se rendit également en litière à Tarascon et se fit dresser son lit près de celui du cardinal. Amalgame singulier de burlesque et de tragique ! Voyez-vous ces deux figures macabres plongées dans leurs coussins et chuchotant, la Mort déjà les tire par les pieds, et, tels qu’ils sont, livides et glacés, les deux Gérontes usent leur dernier souffle à comploter contre la vie et la jeunesse dont ils veulent avoir raison avant de s’en aller. La Provence étalait au soleil d’été ses riches campagnes, le Rhône grondait majestueux : « Mon cousin, dit le roi, vous êtes ici bien près du fleuve, et cela rend triste d’entendre toujours le bruit monotone des flots. » En quittant Tarascon, il laissa au cardinal plein pouvoir d’agir contre les conjurés. Cœur froid et glissant, cœur de verre incapable de garder aucune empreinte, il fit en cette occasion ce qu’il avait toujours fait, il abandonna sa créature. Richelieu dirigea sur Lyon ses deux prisonniers, emmenant De Thou dans sa barque, tandis que Cinq-Mars voyageait en carrosse. La légende et le tableau de Paul Delaroche veulent qu’il les ait remorqués tous les deux, mais la légende se trompe et Paul Delaroche aussi.

En amont d’Avignon et passé le Pont-Saint-Esprit, les bords du Rhône se couvrent de ruines pittoresques, et pour se mirer dans son œuvre, le cardinal n’avait, le soir venu, qu’à contempler au clair de lune les décombres de tant de châteaux. En touchant à Valence, on crut que c’en était fait du moribond ; les crises, les évanouissemens, se succédaient sans intervalle. Il redemanda sa litière, mode préféré de locomotion, cabinet d’état et lit de malade