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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/135

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l’individualité de la propriété morcelée et privée. De là provient la place de plus en plus grande que prennent les sociétés commerciales et industrielles dans le monde économique. Mario fait ressortir avec une remarquable force d’analyse les avantages qu’offre la forme sociétaire, tant pour l’augmentation de la productivité du travail que pour l’amélioration du sort des travailleurs. Seulement il n’a pas vu tous les obstacles qui, dans l’état actuel, s’opposent à ce qu’elle devienne aussi générale qu’on serait tenté de l’espérer, si on ne considérait que les beaux côtés que Mario met si bien en relief. La solution à laquelle il aboutit est au fond empruntée à Fourier, et l’utopie de la commune phalanstérienne apparaît de temps à autre comme l’idéal. Seulement il connaît bien l’économie politique, et dans ses développemens, souvent très ingénieux, il n’en méconnaît presque jamais les principes. C’est ainsi qu’à la différence de la plupart des réformateurs, il montre avec autant d’insistance que Stuart Mill que la question de la population domine toutes les autres. Il dit comme Mill ou comme M. Garnier : Accomplissez les réformes les mieux entendues, ne reculez devant rien pour améliorer la condition des classes inférieures, adoptez les meilleures lois que l’on puisse concevoir, les plus favorables à l’accroissement de la richesse et à une équitable répartition ; vous n’aurez rien fait, si la population augmente plus rapidement que la production des subsistances. L’industrie a beau multiplier les objets fabriqués ; ce n’est là que l’accessoire. La chose essentielle est de savoir si chaque année l’agriculture obtient du sol assez de denrées alimentaires pour que chacun puisse avoir au moins de quoi vivre. Mario a complètement raison sur ce point, mais il attend ; trop des règlemens préventifs qui, l’expérience l’a démontré, favorisent le désordre des mœurs sans arrêter l’accroissement du nombre des habitans. Le seul moyen d’atteindre ce but est de faire que l’instruction et la propriété deviennent l’apanage de tous. L’homme qui jouit de quelques lumières et de quelque aisance devient prévoyant. Il ne veut pas, par un mariage prématuré, se vouer lui et les siens à la misère. C’est en France que la population s’accroît le plus lentement, si lentement que certains s’en effraient, et c’est en France aussi que la propriété est répartie entre un nombre si considérable de personnes, que ceux qui n’en possèdent pas forment la minorité. Par tout les familles aisées et éclairées ont si peu d’enfans qu’elles tendent à s’éteindre, tandis que les prolétaires plongés dans la misère et l’ignorance pullulent. Plus un homme vit et jouit par l’esprit, moins la vie animale est puissante. La plupart des grands hommes n’ont pas laissé de postérité. Le progrès des lumières et du bien-être est ainsi le meilleur antidote contre un trop grand