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accroissement de la population et, par une sorte d’harmonie sociale, l’avancement de la civilisation fait disparaître le principal danger qui la menace dans l’avenir.

Les socialistes allemands qui ont un nom n’ont pas dressé le plan d’une société nouvelle. Ils ne nous présentent pas, comme Morus, Babeuf, Fourier ou Cabet, un idéal, une utopie, une cité parfaite qui serait le paradis sur la terre. Ils connaissent à fond l’économie politique et les faits constatés par la statistique. Ils ont étudié l’histoire, le droit, les anciennes langues, les littératures étrangères ; ils appartiennent à la classe aisée. Ce sont des savans de profession. Ils ne se laissent pas prendre aux chimères des autres ni à celles que pourraient enfanter leur propre imagination. Ils se contentent de faire la critique des ouvrages classiques des économistes et de mettre en relief les maux de l’état social actuel. Leurs écrits ont ainsi le même caractère que ceux de Proudhon, mais, quoique moins bien écrits, moins brillans, ils ont plus de suite et plus de solidité. Pour démêler leurs erreurs, il faut une attention soutenue et une connaissance approfondie des principes économiques.

Après Mario vient un écrivain peu connu et très rarement cité, même en Allemagne, mais dont les écrits courts et peu nombreux contiennent, comme le fait très justement remarquer M. Rudolf Meyer[1], toutes les idées que Marx et Lassalle ont développées depuis avec tant de retentissement. Cet écrivain, c’est Rodbertus-Jagetzow. Ministre de l’agriculture en Prusse en 1848, il s’est immédiatement, après cette époque, retiré dans ses terres, où il s’occupe d’agronomie et d’études historiques et économiques. Il n’a point publié de grand ouvrage de doctrine, mais seulement des articles dans les revues et les journaux. Son système se trouve exposé dans des lettres adressées à un économiste de ses amis, qui viennent d’être réimprimées récemment (1875) sous le titre de : Éclaircissemens concernant la question sociale (Zur Beleuchtung der socialen Frage). Le fameux agitateur Lassalle est resté en correspondance régulière avec Rodbertus jusqu’à la fin de sa vie, et Marx lui a emprunté le fond de ses théories. Le petit volume de cet écrivain, presque inconnu, est certainement l’une des œuvres les plus originales que l’Allemagne ait produites en fait d’économie politique, quoique la base de ses déductions soit, à mon avis, complètement erronée. Rodbertus n’est pas, à vrai dire, un socialiste, mais, comme Ricardo, il a élevé l’arsenal scientifique où le socialisme est venu prendre ses armes. Nous ne pouvons donner ici une analyse complète des idées de Rodbertus, nous en indiquerons seulement les points principaux.

  1. Voyez le curieux livre, non encore achevé, de M. Rudolf Meyer, Le Combat pour l’émancipation du quatrième état (Der Emancipationskampf des vierten Standes).