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pour obtenir la jouissance d’un domaine qu’il peut se procurer ailleurs presque sans frais. La rente n’est donc pas nécessairement en proportion du travail agricole. Ce qui reste vrai dans ce que dit Rodbertus, c’est que toute invention, tout procédé qui diminue les frais de production permet une hausse de la rente. C’est là un point très important, qui n’a pas été bien aperçu, et qui a échappé même à Ricardo et à Mill.

L’erreur capitale de Rodbertus, que les autres socialistes allemands lui ont empruntée, c’est qu’il fait du travail la source unique de la valeur. Il en conclut que tous les produits devraient s’échanger sur le pied de ce que chacun d’eux a exigé de main-d’œuvre, et sur cette base il esquisse le projet d’une institution de crédit qui rappelle beaucoup la banque d’échange de Proudhon. L’ouvrier livre au dock central un produit ; ce produit est estimé d’après le nombre d’heures de travail normalement et en moyenne nécessaire pour le créer, ce qui constitue son prix naturel. Il reçoit en paiement an assignat représentant ces heures de travail, et avec cet assignat il peut prendre dans le magasin social tout autre objet dont le prix est fixé de la même façon. C’est, on le voit, la mise en œuvre de l’idée de Smith, prétendant que c’est le travail, non le numéraire, qui est la meilleure commune mesure des valeurs. Dans la multitude d’échanges qui s’opèrent, on troquerait toujours heures de travail contre heures de travail, ou, comme le voulait Bastiat, services contre services. Le bien-être de chacun. serait proportionné à la part qu’il aurait prise dans la production nationale, sans réduction et sans prélèvement au profit de personne. La puissance d’acheter serait en raison du produit créé, ce qui revient à dire que le producteur pourrait alors racheter son produit. Nous allons retrouver les mêmes idées dans Karl Marx ; pour éviter les répétitions, nous ne les discuterons qu’après avoir vu sous quelle forme nouvelle cet écrivain les expose.


II

Karl Marx est sans contredit l’écrivain socialiste le plus influent de l’Allemagne, et son œuvre principale, das Kapital, est considérée, même par ses adversaires, comme un livre original et remarquable. Ce n’est certes pas à cet ouvrage que Marx doit son influence, car il n’est pas fait pour être lu par le peuple. Il est aussi abstrait qu’un traité de mathématiques, et il est d’une lecture bien plus fatigante. C’est un vrai casse-tête, parce qu’il se sert de termes pris dans un sens particulier, et qu’il construit, de déductions en déductions, tout un système basé sur des définitions et des hypothèses. Il faut une tension constante de l’esprit pour suivre des