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proportionnel à la valeur du travail effectué. Or c’est précisément ce que Marx conteste. Comme Rodbertus, cet auteur prétend que le travail a beau devenir plus productif et créer plus d’utilités, il ne produit pas plus de valeurs. En effet, si le travail mesuré par sa durée est l’unique source de la valeur, les objets fabriqués en plus grande quantité dans un même laps de temps, tous réunis, ne représenteront pas plus de valeur, parce que chaque objet en particulier vaudra moins. Par l’enchaînement rigoureusement logique de ces abstractions, il arrive ainsi à ce singulier résultat, que toutes les inventions de la science, tous les perfectionnemens de l’industrie produisent plus d’utilités sans augmenter la somme des valeurs.

Voyons maintenant comment naît le capital. Suivant Marx, ce n’est pas par l’épargne et par le renoncement, comme le prétend « l’économie politique vulgaire, » et ce n’est pas non plus par l’échange, comme se l’imaginent les badauds, en voyant des négocians faire rapidement fortune. En effet, normalement l’échange se fait sur le pied de l’égalité, valeurs contre valeurs, et si par ruse ou par habileté Paul vend à Pierre pour 50 francs une marchandise qui n’en vaut que 40, Paul gagne, il est vrai, 10 francs ; mais, comme Pierre les perd, la société ne se trouve pas enrichie, et aucune valeur nouvelle n’est créée. Cette opinion, développée avec une grande précision par J.-B. Say, est celle de la plupart des économistes. Je pense néanmoins qu’elle n’est pas fondée. Condillac a raison quand il prétend que dans tout échange les deux parties gagnent, parce que chacune d’elles obtient l’objet qui lui convient le mieux[1]. Une dame, dit-il, avait vendu quelques arpens de terre pour s’acheter un cachemire, et elle s’étonnait d’avoir obtenu un si magnifique châle en échange d’un si vilain lopin de pré. Chacun avait ce qu’il désirait et se trouvait ainsi plus satisfait. Marx et J.-B. Say ne voient que la valeur en usage, qui peut-être n’augmente pas dans l’échange, quoique ordinairement l’objet, en se rapprochant de ceux qui en ont besoin, acquiert déjà plus de valeur ; mais ce qu’il faut surtout considérer, d’après moi, c’est la valeur d’usage, l’utilité, parce qu’en définitive tout revient à cela. La consommation est le but final de la production et de la circulation des richesses. L’échange fait arriver chaque chose là où elle répond aux besoins les plus intenses : the right ware in the right place, et ainsi il crée de l’utilité, qui est la véritable valeur.

Mais revenons au système de Marx. Voici comment, d’après lui, naît le capital. Celui qui est destiné à devenir capitaliste se présente

  1. Voyez le Commerce et le Gouvernement, par Condillac, édition Guillaumin, p. 267. Il y a dans ce petit écrit, comme dans la plupart de ceux du XVIIIe siècle, beaucoup de remarques justes, exprimées avec infiniment de clarté et d’esprit.