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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/146

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sur le marché des marchandises muni d’argent. Il achète d’abord des machines, des outils, des matières premières, puis, pour les mettre en œuvre, la force de travail de l’ouvrier, l’Arbeitskraft, l’unique source de toute valeur. Il met l’ouvrier à la besogne, lui fait transformer, au moyen des outils et des machines, les matières premières en produits fabriqués, qu’il vend plus cher qu’elles ne lui ont coûté à fabriquer. Il obtient ainsi une valeur plus grande, une plus-value (Mekrwerth). L’argent, momentanément transformé en salaires et en marchandises, reparaît sous sa forme primitive, mais plus ou moins accru ; suivant la métaphore antique, il a fait des petits : le capital est né. Cela semble contraire au principe posé plus haut, que l’échange ne crée pas de valeur. Le fabricant n’a fait que des échanges, et pourtant il se trouve avoir acquis une valeur plus grande. Voici l’explication du mystère : L’homme à l’argent paie au travail sa valeur d’échange et obtient ainsi sa valeur d’usage. La force du travail a ce caractère unique de produire plus qu’il ne coûte à être produit. Celui qui l’achète et qui la met à l’œuvre à son profit jouit donc de la source de toutes richesses. Le capitaliste paie le travail à sa valeur. Quelle est la valeur du travail ? Il vaut, comme toute autre marchandise, ce qu’il a coûté de temps et d’efforts pour être produit, c’est-à-dire ses frais de production. Les frais de production du travail sont ce qu’il faut de vivres et de denrées diverses pour entretenir l’ouvrier et ses enfans appelés à lui succéder. La valeur de toutes ces denrées se mesure à son tour par le temps qu’il faut pour les produire. Donc, en résumé, d’après Marx, la valeur du travail est égale à la somme d’heures nécessaires pour créer ce qu’exige l’entretien du travailleur. C’est là ce que le capitaliste paie et doit payer d’après les principes de l’échange.

Au fond, Marx ne fait qu’exposer ici en d’autres termes la loi de Ricardo concernant les salaires. D’après l’économiste anglais, les salaires tendent toujours à se rapprocher, en moyenne, de ce qui est indispensable aux travailleurs pour vivre et maintenir leur nombre. Si le salaire tombe au-dessous de ce niveau, les ouvriers les moins favorisés meurent de privations, et alors l’offre restreinte des bras fait remonter le salaire au taux normal. Si le salaire dépasse ce niveau, l’aisance accrue amène une augmentation du nombre des ouvriers, et alors l’offre plus grande des bras fait baisser le salaire. Le coût moyen de l’entretien de l’ouvrier varie d’après les pays et le degré de civilisation, mais tel qu’il est, il constitue le prix naturel du travail, son coût de production.

Voici maintenant le mystère d’iniquité d’où, d’après le socialiste allemand, dérive le contraste de la misère et de l’opulence, le paupérisme gagnant du terrain à mesure que le capital s’accumule.