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gouvernement commença par ces mots remarquables : « La Providence m’a placé pour la seconde fois à la tête de cette grande nation. » Le suffrage populaire n’avait donc été qu’un instrument entre les mains de la Providence. Après avoir fait l’éloge de sa propre administration pendant les quatre années qui venaient de s’écouler, le président ajoutait : « J’ai l’intime conviction que le monde civilisé tend au républicanisme, et que notre gouvernement doit servir d’étoile conductrice à toutes les nations. » Revenant un peu plus loin sur le même sujet, le général Grant complétait ainsi sa pensée : « Je crois que notre grand Créateur prépare le monde à devenir une seule nation, parlant la même langue, résultat qui rendra inutiles les armées de terre et de mer. »

Ce mélange du prédicant et du soldat ne pouvait manquer de faire naître en plus d’un esprit un rapprochement entre le général Grant et Cromwell. C’est ainsi, disaient les adversaires du président, c’est en ayant sans cesse le nom du Seigneur à la bouche et en se donnant comme l’instrument des secrets desseins de la Providence que Cromwell, après avoir mis fin à la guerre civile, détruisit la liberté de son pays. C’est par les mêmes artifices, par les mêmes complicités aveugles ou intéressées qu’il fit tourner au profit de son ambition personnelle l’affection de ses soldats, les appréhensions des timides et les passions religieuses des sectaires. Par combien de traits d’ailleurs le futur protecteur ne rappelait-il pas son modèle ? Esprit dominateur et absolu, il se montrait à la Maison-Blanche ce qu’il avait paru à la tête des armées de la république, impénétrable en ses desseins, ne s’ouvrant à personne, ne demandant point de conseils et n’acceptant point d’être interrogé ; il n’avait jamais permis à ses meilleurs généraux de discuter ses plans, et il ne permettait pas davantage à ses ministres de discuter ses résolutions ou ses choix. Froid, réservé, silencieux, il s’attachait à ne rien laisser paraître de ses intentions, de ses projets et même de ses impressions. Inflexible dans le commandement et opiniâtre autant qu’impérieux, il voulait être obéi ; il poussait à l’extrême la jalousie de ses prérogatives et s’arrêtait avec peine devant la loi ou devant les droits du congrès. Ayant, aux premiers jours de son administration, nommé secrétaire de la trésorerie un de ses amis personnels, Alexander Stewart, malgré la loi qui interdit d’exercer ces fonctions à toute personne engagée dans les affaires, il demanda au congrès de modifier la loi et s’indigna de ne pouvoir l’obtenir. Implacable dans ses haines et ses ressentimens, il n’avait point trouvé une satisfaction suffisante dans la défaite et la soumission du général Lee : il avait voulu l’humiliation de son illustre adversaire en lui imposant une reddition sans condition, bientôt