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suivie de la mise hors la loi et de l’exil. Investi de la suprême magistrature, il ne montrait pas plus de ménagemens pour ceux qui lui résistaient, brisant sans explication la situation des plus hauts fonctionnaires, et poursuivant à outrance les adversaires de sa politique et les dissidens de son parti.

Aussi sa réélection fut-elle le signal d’une recrudescence de rigueurs à l’égard des populations du sud. On accusa le président de satisfaire un ressentiment personnel en faisant peser un joug plus rude sur les états qui, comme la Louisiane, l’Arkansas ou la Géorgie, avaient donné la majorité à son concurrent. Ce qui est certain, c’est que le président ne frappa de son veto et ne chercha à mitiger dans l’application aucune des mesures répressives ou d’intimidation qui furent votées par le congres sur l’initiative des représentans républicains du sud. Les instructions publiques ou secrètes qui furent données aux commandans de la région du sud furent conçues dans l’esprit le plus rigoureux et le plus despotique. Lorsqu’une lutte sanglante éclata en Louisiane, et que deux gouverneurs, appuyés sur deux législatures rivales, se disputèrent, les armes à la main, l’administration de cet état, le commandant militaire du district, le général Sheridan, se prononça sans hésitation et sans examen pour le gouverneur et pour l’assemblée qui avaient été élus par les noirs. Il les installa de vive force, déclarant qu’il ne voulait ni d’enquête ni d’élections nouvelles, et s’inquiétait peu de savoir de quel côté le droit pouvait être, et il signifia à l’assemblée qui était en possession du Capitole, et dont la légitimité fut plus tard reconnue par le congrès, qu’elle eût à se disperser si elle ne voulait être jetée à la porte, la baïonnette dans les reins.

Cette dépêche, insolente et brutale excita d’un bout à l’autre de l’Union un profond et douloureux étonnement. Tous les regards se tournèrent vers Washington, mais le général Grant n’était pas homme à désavouer un de ses lieutenans. Il fit publier une lettre adressée par le ministre de la guerre au général Sheridan pour l’assurer que sa conduite avait l’approbation personnelle du président et celle du cabinet tout entier. Il fut établi plus tard que cette lettre, écrite sur un ordre du président, n’avait été communiquée à aucun des ministres dont elle engageait, si gravement la responsabilité. Un cri de réprobation s’éleva du sein même du parti républicain. Les choses en étaient-elles arrivées à ce point qu’une moitié du territoire fédéral fût à la discrétion de l’autorité militaire ? Que devenait le respect du principe électif, base et pivot des institutions américaines, si des élections, pour être valides, avaient besoin de l’assentiment d’un commandant militaire, et si le bon plaisir d’un soldat pouvait faire passer la légalité et l’autorité d’un candidat à un