Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec le souvenir de Grâce, qu’il ne peut se résoudre à croire morte. Comment la retrouver ? Son argent n’aurait de valeur à ses yeux que s’il devait l’aider dans cette tâche, L’espoir secret de découvrir les traces de Grâce le décide à faire un tour dans les états de l’est, et Mme Conroy accepte avec joie de l’accompagner, comptant que cette excursion ne sera que le prélude d’un voyage plus long en Europe. Olly, qui est seule dans la confidence de son frère, entre en pension à Sacramento pour le temps de leur absence. Elle vient de partir, et le bon génie de la maison Conroy est parti avec elle, quand un coup de foudre réduit soudain à néant les savans calculs de sa belle-sœur : Perkins, le frère de feu le docteur Devarges, par qui elle s’est fait enlever jadis du toit conjugal, et Ramirez, le voleur de la concession transmise à Grâce Conroy, tombent ensemble dans l’Éden que s’est créé si laborieusement Julie. Ne croyez pas que leur double apparition la déconcerte outre mesure. Cette habile personne est toujours prête à tout ; elle entreprend d’utiliser la faiblesse de son premier amant, encore désespéré, encore jaloux, encore capable de se sacrifier pour elle ; il la protégera contre Ramirez, contre ses violences, oui, mais contre ses révélations c’est impossible. Le Mexicain emploie le meilleur mode de vengeance ; il raconte au mari tout ce qu’il sait. Et alors, Gabe agit comme il l’a toujours fait, simplement et en honnête homme. Sans bruit, sans reproches, il quitte la riche maison de sa femme, n’emportant que ses outils de mineur : — C’est tout ce que j’y ai apporté, dit-il, c’est tout ce qui est à moi.

— Êtes-vous sûr de ne rien laisser derrière vous ? crie Julie du fond de sa honte et de son angoisse.

— Non, madame, rien.

Elle pourrait le retenir peut-être en lui disant qu’il laisse un enfant, l’enfant qu’elle sent remuer dans ses entrailles et sur qui elle avait compté pour attendrir, amener enfin à elle cette âme forte contre laquelle ont échoué tous ses pièges fascinateurs ; mais elle n’ose, elle a perdu à jamais son assurance, sa faconde endiablée, elle se tait, désirant la mort, et c’est à Ramirez qu’elle va demander cette délivrance.

Il y a sous le Grand-Pin, lieu désert, favorable au crime, une scène dramatique entre les deux complices ; ceux qui ont lu la Rose de Tuolumne y trouveront des réminiscences, mais la fureur de cette femme démasquée, qui vocifère et qui menace pour obtenir l’aumône d’un coup de couteau, n’en est pas moins très émouvante : — Écoutez, vous avez atteint votre but, vous avez réussi, et au-delà ! L’homme que vous vouliez tourner contre moi m’a abandonnée pour ne jamais revenir… Il ne m’aimait pas !… Vous