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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/208

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l’Asie orientale et aux archipels de la Mer du Sud, tandis que les seconds peuplèrent le Nouveau-Monde. Aujourd’hui c’est l’Allemagne, l’Irlande, l’Angleterre, qui continuent l’œuvre commencée il y a quatre siècles par le Portugal. Chaque année, le trop plein de la population germanique et des îles britanniques s’écoule partie vers les prairies du far-west, partie vers les pampas du sud. Le sol pouvant dès lors suffire à ses habitans, la vie n’est plus une lutte sociale ; l’homme du peuple, trouvant dans le travail les conditions normales de l’existence, devient un élément d’ordre et de prospérité au lieu d’être un élément perturbateur, et le pays n’a pas à redouter ces explosions fiévreuses qui mettent la société en péril et dont la France, par son oubli des lois économiques, a été naguère encore le sanglant théâtre. Le plus sûr moyen de prévenir les perturbations sociales, qu’on pourrait définir les débordemens du prolétariat, c’est d’assurer aux classes pauvres leur pain du lendemain. Or on n’alimente pas un peuple par décret ; il faut pour cela des mesures économiques, dont la première est de veiller soigneusement à la marche progressive de la population. Toute agglomération d’hommes qui n’est pas en rapport avec les productions du sol peut être comparée à un immense condensateur électrique ; le fluide s’accumule insensiblement, sans bruit, jusqu’à l’explosion qui amène la foudre et la tempête. Jadis c’était la guerre qui maintenait la population dans un équilibre normal ; de violentes saignées à de courts intervalles prévenaient toute pléthore du corps social. « J’ai trois cent mille hommes de revenu, » disait cyniquement le Tchinghiz-khan des temps modernes, Napoléon Ier. Cette méthode, chère aux rois absolus, disposant en souverains maîtres de la vie et des biens de leurs sujets, n’est plus aussi aisée aujourd’hui sous les monarchies constitutionnelles, qui doivent compter avec les peuples toutes les fois qu’il s’agit de lever des hommes ou de se procurer de l’argent. L’expérience et la raison nous apprennent que le véritable dérivatif des sociétés trop nombreuses est l’émigration. N’est-ce pas d’ailleurs par cette voie que l’espèce humaine doit arriver à la prise de possession de la planète, qui apparaît dans le lointain des âges futurs comme la grande étape de ses destinées ?

Ici se dresse un point d’interrogation. L’élan donné depuis quelques années à la navigation et aux chemins de fer facilitant l’accès des terres lointaines, il est permis de supposer que l’esprit de colonisation pénétrera de plus en plus dans la politique des peuples et ira en s’accentuant jusqu’à ce qu’un équilibre normal soit établi entre la population du globe et la surface des continens émergés ; mais dans quelles proportions les diverses tribus humaines suivront-elles ce mouvement ? N’est-il pas à craindre qu’il se produise de violentes expropriations de races, que les mieux douées ne