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prononcé à cette occasion un petit discours qui se terminait ainsi : « Mon plus vif désir est que cette école prospère et qu’il me soit donné de voir les fruits de l’éducation féminine se répandre à profusion dans tout l’empire. » Des dames américaines sont attachées à cet établissement et à d’autres d’un caractère privé, qui se multiplient de jour en jour. Les jeunes filles apprennent non-seulement les langues, l’anglais surtout, mais la couture et les travaux d’aiguille. L’enseignement professionnel n’est pas négligé : à Yeddo, à Tomyoka, les filatures reçoivent des ouvrières-élèves ; une papeterie nouvellement installée en possède également ; il n’est pas jusqu’à un cours d’obstétrique qui ne soit professé par une dame anglaise qui a régulièrement gagné ses grades sur les bancs de nos facultés.

Sans doute il y a bien des forces perdues, bien du temps gaspillé, dans toutes ces leçons faites en des langues multiples, sans programme général, sans vue d’ensemble, par des professeurs souvent choisis au hasard, dépendant de ministres différens et obligés de se partager entre les fonctions d’instituteurs et un service actif, Il manque à tout cela l’unité de plan et de direction ; ce sont des lambeaux épars plutôt qu’un système d’éducation nationale, et l’on peut dire que l’enseignement, quoique très répandu, n’est pas organisé ; les mesures partielles que chaque ministre prend dans son département ne servent qu’à le désorganiser davantage. Mais tel qu’il est cependant, il donne des fruits, et son développement constitue pour le pays le plus réel progrès, le plus riche en promesses pour l’avenir. On se demandera sans doute si le Japon est condamné à nourrir éternellement cette armée de pédagogues étrangers, dont nous n’avons pas terminé le dénombrement, et qui atteint le chiffre total de 300 employés, presque tous consacrés à l’instruction publique sous diverses formes, portés au budget ordinaire pour une somme de 1 million 1/2 de dollars. Ce n’est au contraire un mystère pour personne que le gouvernement est impatient de licencier ces maîtres, encore plus vexans, pour son amour-propre qu’onéreux pour son trésor, et nul désir n’est plus légitime ; mais il faut ajouter que le moment de le réaliser ne semble ni arrivé ni même proche. A moins d’abandonner la tâche qu’il s’est imposée, de répandre chez lui toutes les lumières de la science moderne, il faut que l’état remplace par un professeur japonais chaque professeur européen qu’il renverra ; or il ne possède peut-être pas encore un seul étudiant, en mesure d’enseigner lui-même la médecine, le droit, la mécanique, la technologie, etc. L’enseignement n’exige pas seulement la connaissance approfondie du sujet, mais encore la possession de certains procédés intellectuels dont on ne se rend pas maître en une génération, et les meilleurs candidats à l’examen feraient une piteuse figure en chaire. Le temps lui-même