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suffira-t-il ? Pourra-t-on jamais enseigner et apprendre la philosophie, la psychologie, les mathématiques transcendantes, dans cet idiome rebelle à l’analyse, encombré de mots et dépourvu de termes abstraits, rétif à la construction ? On peut se le demander, et bien des philologues penchent à croire que le japonais ne deviendra un instrument de propagation scientifique qu’à la condition de se modifier considérablement.

Si nous n’avons pas encore parlé de l’instruction militaire, c’est afin de l’excepter des critiques que nous avons dû formuler jusqu’à présent ; elle ne mérite que des éloges. Des juges compétens et désintéressés n’ont pu s’empêcher d’admirer avec quelle souplesse et quelle rapidité une nation guerrière, mais indisciplinée, s’est pliée aux règles de l’art militaire moderne, aux exigences d’un armement compliqué et au joug de la discipline. L’armée japonaise est pourvue de fusils de divers modèles, principalement d’Enfield, Snider et Chassepot, de canons de bronze de 4 de campagne et 4 de montagne ; son équipement est à peu près copié sur le nôtre, sauf quelques changemens de couleurs ; la hiérarchie des grades est la même. Le 8 janvier 1876, la garnison de Yeddo défilait devant le général prince Fusimi-no-mya, et chacun pouvait constater la bonne tenue des troupes dont on avait apprécié l’instruction dans de précédentes manœuvres. L’honneur de ces heureux résultats revient tout d’abord à l’armée elle-même, à son zèle, à son activité, et en second lieu à la mission militaire placée par le gouvernement français à la disposition du gouvernement japonais. Déjà en 1867, une première mission française avait jeté les bases de l’organisation actuelle ; les événemens politiques interrompirent ses travaux. En 1872, une nouvelle mission commandée par le lieutenant-colonel Marquerie, que remplace depuis 1874 le lieutenant-colonel Munier, reprit l’œuvre commencée[1] ; elle se consacre non-seulement à l’instruction pratique des troupes sur le terrain, mais encore à l’enseignement théorique distribué dans des cours aux officiers et sous-officiers des diverses armes.

De ses mains sortent des instructeurs japonais qui, répandus dans les corps, y propagent les connaissances reçues à Yeddo. Chaque année, au printemps et à l’automne, les troupes vont camper à dix lieues de Yeddo, sur le vaste plateau de Sakura, où des baraques leur ont été préparées et où l’artillerie trouve un polygone disposé pour ses écoles à feu. Une école militaire sur le modèle de Saint-Cyr et de West-Point, élevée d’après les plans du capitaine Jourdan et dirigée avec le concours des capitaines Vieillard et Percin, reçoit les élèves déclarés admissibles, qui en sortent avec le grade

  1. Elle se compose actuellement de 15 officiers et 11 sous-officiers.