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toutes les autres nations, et même il les a toutes devancées dans cette voie de la suprématie ; seulement cette suprématie, il faut aller la chercher dans une lointaine et barbare époque, la plus ténébreuse qu’ait jamais traversée l’histoire humaine. A moins que l’on ne veuille compter l’Espagne musulmane des Abdérame comme une puissance européenne, quel était entre le dernier tiers du Xe siècle et le premier tiers du XIe, — alors que la France gisait étouffée sous l’agonie carlovingienne ou rassemblait humblement ses plus proches tronçons sous les premiers Capétiens, alors que l’Allemagne après avoir ramassé l’héritage de Charlemagne le sentait encore mal assuré en son pouvoir, et que Rome passait d’anarchie en usurpation et d’usurpation en anarchie sous les princes de la famille de Théodora et de Marozie, — le royaume réellement prépondérant, sinon le Danemark de Sweyn et de Knut, qui conquirent et gouvernèrent l’Angleterre, tinrent pendant leurs règnes le royaume naissant de Suède dans leurs intérêts et sous le protectorat de leur amitié, et disputèrent la Norvège aux deux Olafs ? Knut le Grand, fils de Sweyn à la barbe fourchue, que nous allons voir figurer dans le récit de M. Dasent, petit-fils d’Harold à la dent bleue, qui porta le Danemark à un si haut degré de puissance, en fut le quatrième roi seulement, en sorte que la suprématie qu’il lui conquit fut presque voisine de son berceau, tant les choses vont vite lorsqu’elles ont rencontré leur vraie direction et leur juste engrenage. Dans ce souvenir, tout lointain qu’il est, le Danemark actuel peut encore trouver une consolation à ses malheurs répétés et à sa récente mutilation.

Dans ces conditions nouvelles, la piraterie Scandinave dut nécessairement cesser d’être ce qu’elle avait été, une véritable institution sociale. Chaque année en effet, les jarls et les petits rois des contrées du Nord rassemblaient, dès que le printemps revenait, les jeunes guerriers de leurs districts, et, se mettant à leur tête, s’embarquaient pour quelque expédition aventureuse où ils pouvaient gagner richesse et renom ; c’était comme un système régulier d’écoulement pour le trop plein des élémens d’ardeur et de turbulence qui surabondaient dans cette barbarie vigoureuse, et comme une consécration annuelle de ces mâles qualités de courage et d’énergie que la religion d’Odin recommandait à ses sectateurs comme les seules qui fussent dignes d’estime et de louange. Ce brigandage régularisé, légitimé et élevé à la hauteur du patriotisme était à la fois une école de guerre et une carrière constamment ouverte aux ambitions de la jeunesse Scandinave. Ces moyens de faire son chemin et de se créer sa place étaient bien barbares, mais dans ce monde, où le struggle for life de Darwin domine hélas ! trop réellement, est-il bien sûr que l’on ne trouverait pas quelque chose d’analogue à ces violentes méthodes de parvenir, même au sein des